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Publié le
par Sophie Laroche
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Comme ce fut le cas pour pas mal de gens, la musique du groupe coréen BTS fut ma porte d’entrée vers le monde complexe et captivant de la K-pop. Mais en y pénétrant, j’ai découvert qu’y être affilié·e, en tant qu’observateur·rice bienveillant·e ou fan, c’est s’exposer à certains jugements. Quand on évoque la K-pop, ce sont souvent l’idée de mauvais goût, de passion féminine coupable, de cris adolescents et de manque d’authenticité qui émergent des conversations. Parce qu’il est temps de lui accorder la légitimité qu’elle mérite, tentons de déconstruire des stéréotypes qui entourent la K-pop et ses fans.
Il est difficile de définir la K-pop. Même les auditeurs et auditrices, premier·ère·s concerné·e·s, ne s’entendent pas forcément sur la définition. Cependant, c’est souvent l’idée d’un genre musical manufacturé, superficiel et voué à être facilement consommé qui imprègne l’imaginaire collectif (occidental, du moins). Écouter de la K-pop, c’est écouter une musique inauthentique, résultant d’une recette magique qui mêle le fameux soft power du gouvernement coréen, évoqué à chaque succès d’une œuvre coréenne, et un système d’entraînement infaillible et tyrannique.
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Ainsi, il a longtemps été question pour les médias occidentaux d’aborder seulement le “côté sombre” de l’industrie (suicides, standards impossibles à atteindre, “slave contracts” ou scandales sexuels). Chaque actualité musicale coréenne était l’occasion de mentionner les dérives du système dans une certaine démarche essentialiste qui niait toute individualité aux artistes et à leurs trajectoires, la plupart du temps bien éloignées des scandales en question.
“La raison pour laquelle [les Occidentaux] se concentrent plus sur le côté sombre plutôt que sur les autres aspects de la K-pop […] s’explique peut-être par les stéréotypes raciaux liés à une certaine culture qu’ils ne comprennent pas. expliquait Lee Gyu-tag, professeur d’études culturelles dans l’article “Is there a media double standard for K-pop?” du Korea Herald. Dans l’imaginaire collectif raciste occidental, les personnes asiatiques sont souvent associées à des individus robotiques et stoïques. “Des workaholics sans sentiment. Ces stéréotypes renforcent l’image des idols perçu·e·s comme les produits d’une industrie inhumaine à qui on a supprimé toute autonomie créative.

Évidemment, il y a beaucoup à dire sur les dérives de cette industrie musicale que les fans eux-mêmes dénoncent, mais il y a aussi beaucoup d’autres récits à partager. D’autant plus que l’histoire de la K-pop nous prouve que ses ambassadeur·rice·s sont loin d’être si homogènes, lisses et apolitiques. Il suffit de se pencher sur le cas de la première idol, Seo Taiji, qui crée le groupe Seo Taiji and Kids en 1992. Sur une musique novatrice qui mêle hip-hop, musique traditionnelle, techno et même heavy metal, l’artiste a traité de sujets aussi politiques que la réunification, l’environnement, la drogue ou le système éducationnel coréen (“Classroom Idea”).
Des décennies plus tard, BTS marque aussi pour ses thèmes engagés, se démarquant de la superficialité supposée de la K-pop. À travers des textes écrits et composés par les trois rappeurs du groupe (RM, Suga et J-Hope), mais aussi des chorégraphies et visuels sensibles, les sept jeunes hommes s’expriment au sujet de la pression scolaire, de la précarité de la jeunesse, des inégalités entre générations (“Baepsae”), de l’anxiété et de la question du suicide. Ces derniers ont d’ailleurs été adoubés par Seo Taiji lui-même et les exemples de ce type sont encore nombreux.
Le mépris de la production va souvent de pair avec celui de la réception. La K-pop étant souvent perçue comme une musique de boys bands (et aussi des girls bands), son public est en toute logique constitué de fangirls, c’est-à-dire de jeunes femmes jugées impulsives et hystériques. Leurs goûts en termes de musique sont rarement pris au sérieux et l’objet de leur intérêt est dévalué en permanence. Parce que les artistes de K-pop sont supposément écoutés par des jeunes femmes, on ne leur porte que peu d’intérêt.
Lors du passage de BTS au Stade de France pour deux dates en 2019, France Inter parlait d’ailleurs de la formation comme du groupe le plus important du monde que personne ne connaît”. Quand bien même le groupe a rempli deux stades en quelques minutes, le fait que son public soit perçu comme féminin et jeune (bien que très diverse) et non masculin, blanc et “mature” le rend anonyme, ou plutôt indigne d’intérêt. On imagine que l’inverse lui aurait valu d’être connu de “tout le monde”.
Dans un article de Pitchfork nommé “Pop Music, Teenage Girls and the Legitimacy of Fandom”, la journaliste Brodie Lancaster, expliquait que quand la célébrité est garantie par une fanbase adolescente et féminine, elle est considérée comme fausse, temporaire et non méritée”. Ainsi, ce n’est qu’en attirant le bon type de fans, c’est-à-dire les hommes (blancs), qu’un·e musicien·ne peut être considéré·e comme un·e artiste. L’exemple le plus cité est celui des Beatles, devenus légitimes une fois adoptés par un public masculin.


Extrait du documentaire K-POP Machine réalisé par Vice.
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“Lobsession musicale d’un homme pour un groupe ou un musicien est conçue comme une forme d’expertise, alors que celle d’une femme est perçue comme superficielle et vénale”, expliquait Leparterre dans l’article “Pourquoi ta meuf ne parle jamais de musique avec toi”. Si les jeunes femmes aiment la K-pop, ce ne serait donc pas pour la qualité musicale et artistique de leur groupe préféré, mais pour l’apparence de ses membres.
Cette idée reçue participe à discréditer les groupes et à dévaloriser les fans, notamment les jeunes femmes. J’évite de le dire aux gens car j’ai peur de leur réaction. Quand je l’évoque, beaucoup de gens me répondent que c’est mignon de façon plutôt méprisante. Pour eux, les idols sont trop féminins et ça ne vaut pas le coup de s’y intéresser car ce sont que des filles qui écoutent”, explique Laetitia, NCT stan, 21 ans.
Si le souci de l’apparence est fortement reproché aux femmes qui apprécient un artiste ou groupe, il est aussi condamné chez les idols, jugés trop efféminés selon les standards occidentaux. Le style étant un élément primordial de la culture K-pop, les idols arborent un look impeccable composé de cheveux colorés, d’une peau sans défaut, de tenues avant-gardistes et de make-up. Si on ajoute à cela la pratique de la danse, ils performent une masculinité (non-exempt de toxicité) peu valorisée en occident. Marie, 21 ans, Monsta X stan, explique d’ailleurs qu’on critique souvent son intérêt pour “des mecs maquillés qui ressemblent à des filles”. Mais pourquoi sont-ils jugés trop féminins quand on porte aux nues des artistes comme David Bowie ou Harry Styles ?
Pour Mathieu Berbiguier, doctorant en pop culture coréenne à l’Université de UCLA, cette façon de féminiser les artistes de K-pop viendrait tout simplement de l’orientalisme, un imaginaire issu d’une position de puissance théorisé par Edward Saïd.
“On a toujours considéré les hommes asiatiques comme plus efféminés et on les a toujours émasculés. C’est ancré dans l’Histoire, notamment dans l’histoire de l’immigration aux États-Unis. C’est pour cela qu’on a tant de clichés aujourd’hui sur l’homme asiatique comme n’étant pas sexuel. Cette vision de la masculinité asiatique se perpétue à travers les jugements sur les hommes coréens qui se maquillent.”
A contrario, la féminité performée par les stars blanches comme David Bowie ou Harry Styles n’est pas induite par leur identité raciale, mais perçue comme transgressive, comme le fruit d’un choix à contre-courant. Cette idée est renforcée par le fait que les idols sont nombreux·ses à adopter une esthétique “similaire” qui les empêche encore une fois d’être perçues comme des individus et renforce l’idée d’une création K-pop automatisée, bien loin de la contre-culture incarnée par les artistes blancs, comme l’explique Natalie Morin dans un article de Refinery 29.
Cette difficile reconnaissance globale et médiatique n’est pas sans rappeler celle du rap, de la pop ou de tous les genres mainstream majoritairement appréciés des minorités. Un problème qui viendrait en partie d’un manque de diversité chez les prescripteurs comme le souligne le journaliste Sophian Fanen dans un l’article “Les médias français et le rap : une longue histoire pleine de mépris”. Pour lui, le silence médiatique autour du travail d’artistes rap au succès s’expliquerait, entre autres, par le manque de diversité culturelle dans les rédactions où une vision restreinte est mise en avant.
En résulte une silenciation et/ou une exotisation des productions culturelles et artistiques éloignées des codes dominants ethnocentrés. Quand on aborde la K-pop, le problème, c’est qu’on le fait en permanence par le prisme de la nouveauté, de l’altérité, du phénomène.
“Dans les médias français et occidentaux, même dans le discours académique, on a une certaine vision quand on parle de K-pop. On se sent obligé de dire que c’est nouveau et que c’est différent alors que c’est vieux. La K-pop telle qu’on la connaît existe depuis la fin des années 1990, mais il y a une volonté de toujours la qualifier de phénomène nouveau et différent. Cela contribue à perpétuer les stéréotypes. Récemment, on a beaucoup parlé de l’engagement de fans de K-pop (sur des sujets comme Black Lives Matter). Mais cet engagement existe chez les fans depuis toujours. C’est mauvais car cela met les États-Unis (et le point de vue dominant) au centre de tout. BTS était populaire avant d’être populaire aux USA, mais sa découverte par les USA en fait ‘un phénomène mondial’. C’est fatigant“, nous explique Mathieu Berbiguier.
Plutôt que de l’aborder comme un phénomène exotique, il serait intéressant de traiter de K-pop avec complexité et nuance, sur le plan artistique, culturel et social. D’aborder ses dérives (car il y en a pas mal) comme son aspect fédérateur, surtout quand on sait à quel point les fandoms sont un moyen de faire communauté, notamment au sein des minorités qui les composent.
Car la pop culture dont la K-pop est issue, bien que considérée comme superficielle, est aussi un outil de résistance et d’exploration pour beaucoup. Elle permet de questionner, de rebattre les cartes et de redéfinir les rapports de pouvoir. La mépriser participe à renforcer et reproduire les stéréotypes sexistes et xénophobes autour de ceux qui la produisent ou la consomment, tout comme cela impose une façon légitime de considérer l’art nous coupant de nombreuses réflexions autour d’œuvres signifiantes en les reléguant dans des sous-catégories. Alors la prochaine fois que quelqu’un vous dit qu’il aime la K-pop, prêtez-y une oreille plus attentive.
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