C’est le nerf de la guerre mais il fait souvent défaut aux entrepreneurs sociaux. L’argent est pourtant là, à portée de main, pour peu que l’on sache à quelles portes frapper.
Un rapport sur l'investissement à impact social a récemment chiffré à 1,8 milliard d'euros les montants disponibles pour ce type de projets.
Getty Images
Les mains vides. C’est ainsi que Benjamin Dupays est reparti après avoir faire le tour des banques pour financer sa start-up Centimeo. “Je voulais créer un distributeur automatique de produits qui ne coûtent que quelques centimes d’euros et employer des personnes en insertion pour les approvisionner”, se souvient le jeune entrepreneur de Montigny-le-Bretonneux, alors encore étudiant à Sciences Po. Les banques ne voyaient pas comment je pouvais dégager de la marge. Mon projet ne rentrait pas dans leurs cases.” C’est donc avec un prêt étudiant personnel qu’il paie sa première machine à recycler les pièces rouges, qui coûtent à la société plus que leur valeur faciale.
Benjamin Dupays n’est pas un cas isolé : trouver les financements peut ressembler à un parcours du combattant pour un entrepreneur social. Un rapport (1) sur l’investissement à impact social a pourtant récemment chiffré à 1,8 milliard d’euros les montants disponibles pour ce type de projets, qui cumulent valeur ajoutée économique et sociale. A condition de se repérer dans la jungle des offres.
>> Lire aussi: 50 000 euros d’aides pour créer son entreprise, c’est possible!
Du fait de l’impact social généré, l’aide publique est une réponse naturelle au besoin de financement de l’entrepreneur social. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le temps et l’énergie requis. Bien des collectivités locales disposent d’enveloppes pour soutenir le secteur de l’économie sociale et solidaire. Mais elles sont souvent méconnues, gérées par des équipes qui peinent à faire parler d’elles. “La chasse aux subventions, ce sont de longues recherche sur Google et le bouche-à-oreille”, témoigne Benjamin Dupays qui a rassemblé plusieurs milliers d’euros d’aides de différentes structures publiques franciliennes. Par ailleurs, elles ne sont pas l’unique moyen d’action de la puissance publique. “Elle peut aussi acheter ce que produit l’entreprise ou lui offrir sa garantie”, observe Denis Dementhon, directeur général de France Active, organisme qui accompagne depuis vingt-sept ans les entrepreneurs sociaux dans leurs démarches de financement.
Les subventions peuvent aussi venir du secteur privé, des fondations ou des philanthropes en particulier. Mais la générosité a ses limites : les poches de l’Etat sont percées et le mécénat n’a pas les moyens de prendre intégralement le relais. “Les ressources publiques associatives représentent environ 40 milliards d’euros. 1% de ce montant en moins, ce sont 400 millions d’euros à trouver. Pour exemple, la Fondation du Crédit coopératif a un budget de 1,7 million d’euros par an”, observe Hugues Sibille, président de l’Avise et nouveau président de la Fondation du Crédit coopératif. Associations et entrepreneurs sociaux doivent donc diversifier leurs ressources. “La première étape est de bien identifier le type de financement le plus adapté”, recommande Hugues Sibille. Ai-je besoin d’une subvention de fonctionnement ? De fonds propres pour des actions de recherche et développement ? D’un crédit pour couvrir un besoin de trésorerie lié au salaire du nouveau webmaster ? “Chaque situation est différente”, précise le banquier. Il est donc préférable de se faire accompagner.
>> Lire notre dossier complet: Aides à la création d’entreprise
Entre crédit et subvention, la banque publique Bpifrance propose la solution intermédiaire de l’avance récupérable à travers le Fonds pour l’innovation sociale (Fiso), d’un montant de 40 millions d’euros. “Nous versons, en partenariat avec les régions, quelques dizaines de milliers d’euros que le porteur de projet ne remboursera en intégralité que si la réussite technico-commerciale est au rendez-vous”, précise Guillaume Mortelier, directeur de la stratégie et du développement de Bpifrance. Des financeurs solidaires, comme France Active, proposent de leur côté des prêts d’honneur et des garanties. Ils distribuent aussi les 100 millions d’euros d’argent public destinés par le Programme d’investissement d’avenir (PIA) au soutien de l’économie sociale et solidaire. Des interventions qui ont le mérite de rassurer les acteurs bancaires traditionnels, plus enclins à soutenir un projet “labellisé” par ces spécialistes du solidaire.
Pour accéder à l’ensemble de ces financements, une même règle d’or s’impose : présenter un projet qui marche sur ses deux jambes. “Nous cherchons à comprendre à la fois l’impact social attendu et l’équilibre économique de l’activité”, insiste Guillaume Mortelier. Pas question pour ces acteurs de soutenir des projets dont on sait qu’ils ne survivront pas six mois. Se lancer à l’aveuglette, en inondant l’ensemble de ces intervenants de sollicitations, ne fonctionnera pas non plus. “Avant d’aller trouver un financeur, l’entrepreneur doit savoir quel est son domaine d’intervention.
Il ne s’agit pas de déposer le même dossier chez tous”, souligne Denis Dementhon. Certains seront axés sur la création d’emplois, d’autres sur l’impact écologique, d’autres encore n’interviendront que sur un territoire donné. A l’entrepreneur de savoir présenter son projet sous son meilleur jour pour actionner les bons leviers.
>> Lire aussi: Economie sociale et solidaire (ESS): les trois nouvelles aides au financement
De plus en plus d’entrepreneurs sociaux en herbe se tournent aussi vers les particuliers pour s’acquitter de leurs premières factures. Les plates-formes de crowdfunding fleurissent et permettent de collecter de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d’euros de dons ou de préventes. C’est ce qu’a fait RogerVoice, une start-up permettant aux personnes malentendantes de lire leur conversation téléphonique en direct sur l’écran de leur smartphone. Son fondateur, Olivier Jeannel, a réussi à prévendre pour 35 000 euros d’abonnements à son service sur la plate-forme Kickstarter et à financer la version beta de son application. Au-delà de l’aspect purement pécuniaire, le recours à une plateforme de crowdfunding a le mérite de donner une grande visibilité au projet et de valider son potentiel commercial. Mais il peut aussi se révéler très chronophage entre la constitution du matériel marketing adapté au grand public et le temps passé à répondre aux messages postés par les centaines de donneurs potentiels.
>> Service Partenaire : découvrez SBA, la solution de comptabilité et gestion de trésorerie en ligne
4. Les prêts bancaires : tout au long de la vie du projet
Une fois l’activité lancée, d’autres besoins surgissent. Combler le besoin de trésorerie, investir dans une nouvelle machine, agrandir ses locaux… ? Les raisons de faire appel à des intermédiaires financiers ne manquent pas. Si historiquement les banques de l’ESS se limitaient aux établissements mutualistes comme le Crédit coopératif, la Caisse d’épargne ou le Crédit Mutuel, depuis peu, les acteurs plus conventionnels s’ouvrent à ces nouvelles façons d’entreprendre. Comme BNP Paribas qui a constitué un réseau de 50 référents dédiés aux entrepreneurs sociaux et a adapté sa grille d’analyse. “Le rythme de croissance peut être plus lent que dans l’économie traditionnelle, par exemple lorsque l’on fait travailler des personnes longtemps éloignées de l’emploi, remarque Raphaèle Leroy, responsable RSE de la banque de détail en France de BNP Paribas. Nous adaptons donc nos prêts pour laisser aux entrepreneurs le temps d’atteindre leur équilibre.”
L’entrepreneur doit savoir s’appuyer sur ses actifs ­ ligne de production, parc de machines, immobilier… ­ pour convaincre son banquier. Il peut aussi faire appel à des cofinanceurs, qui joueront alors un rôle de tiers de confiance. Bpifrance offre ainsi aux entreprises de l’économie sociale et solidaire de plus de trois ans un prêt sans garantie sur leurs actifs. Sa durée est de cinq ans et son remboursement ne démarre qu’au bout d’un an. “Ce type de prêt permet de financer les investissements davantage immatériels, comme une campagne marketing, un plan de formation ou le renforcement d’un stock”, explique Guillaume Mortelier.
>> Lire aussi: Six conseils pour éviter une rupture de trésorerie
A l’ère des smartphones, de l’Internet mobile et du Big Data, de plus en plus de projets d’entrepreneuriat social reposent sur l’utilisation de la technologie. Une dimension qui ouvre les portes de la kyrielle de programmes de financement de l’innovation, publics comme privés. C’est ce qu’a fait Sunna Design pour assurer son développement.
La start-up bordelaise a en effet conçu un lampadaire à LED fonctionnant à l’énergie solaire, adapté aux pressants besoins d’éclairage urbains des villes asiatiques ou africaines. Un potentiel technologique qu’a reconnu Bpifrance en lui faisant intégrer son programme d’accélération dédié aux projets technologiques. Benjamin Dupays, lui aussi, a joué cette carte au lancement de Centimeo : “J’ai bénéficié de subventions de collectivités locales de la région Ile de France pour l’aspect d’innovation technologique de mon projet, témoigne le jeune entrepreneur. Mais sa dimension sociale a aussi beaucoup compté : j’ai montré que cet argent allait servir à créer des emplois sur le territoire et pas à financer une campagne de référencement !”
L’impact social, sésame de la levée de fonds ? Encore faut-il pouvoir le mesurer. “C’est une activité chronophage et qui peut engendrer des frais, reconnaît Raphaèle Leroy. Mais c’est indispensable, tant pour convaincre les financeurs que pour piloter son entreprise sociale.” Cette mesure de l’impact social peut être basique : nombre de personnes réinsérées, quantité de matériaux recyclés… Mais il peut aussi être judicieux de pousser jusqu’à la mesure des coûts évités. Ce qu’ont fait Danone et l’association Siel Bleu pour valider leur programme d’activité physique à destination des pensionnaires de maisons de retraite. Une équipe de chercheurs indépendants a ainsi chiffré à au moins 420 millions d’euros l’économie annuelle permise par un tel programme.
Afin de véritablement changer d’échelle, et donc toucher un plus grand nombre de bénéficiaires, l’entreprise sociale en croissance doit souvent s’ouvrir à de nouveaux actionnaires. Mais comment convaincre un investisseur de mettre au pot sans pouvoir lui garantir d’importants retours financiers, encore moins à court terme ? Une catégorie d’investisseurs d’un nouveau genre est toutefois apparue ces dernières années : les fonds dits d’Impact Investing. Ils s’appellent Citizen Capital, Comptoir de l’innovation, Phitrust, la Sifa (France Active), Alter Equity ou encore Impact & Partenaires, proposent du “capital patient” et acceptent des rentabilités plus limitées. L’argent qu’ils investissent a des origines variées : ce sont les placements de quelques individus fortunés voulant utiliser leur richesse autrement ; ce sont aussi des poches d’assurance-vie d’une poignée d’assureurs précurseurs comme Aviva ou la Maif ; mais il peut aussi s’agir de la partie risquée des fonds placés par le million d’épargnants solidaires français, principalement à travers leur épargne salariale.
Cinq ans après avoir essuyé le refus des banques de financer son projet, Benjamin Dupays de Centimeo se réjouit : il vient de lever plusieurs centaines de milliers d’euros auprès du Comptoir de l’innovation. Un montant qui va lui permettre de démultiplier ses distributeurs recycleurs de centimes sur le territoire et de renforcer ses effectifs via des emplois en insertion. “Nos investisseurs sont dans la même optique sociale que nous et nous parlons la même langue. C’est rassurant.”
Trouver le capital pour accompagner sa croissance n’implique pas nécessairement de faire appel à des spécialistes de la finance. Des partenariats industriels “intelligents” peuvent aussi répondre aux besoins. Le groupe d’insertion Ares a fait le choix, en 2012, de monter une co-entreprise avec le transporteur Norbert Dentressangle : la nouvelle structure, Log’Ins, basée en Essonne, vise à former des travailleurs handicapés aux métiers de la logistique, coeur de métier de Norbert Dentressangle. Et son capital se partage entre les deux partenaires. D’autres, comme Vitamine T dans le Nord, ont préféré opter pour des prises de participations minoritaires. C’est ainsi qu’Adecco est entré au capital de l’entreprise de travail temporaire d’insertion Janus, filiale de Vitamine T. Quel que soit le montage choisi, il est indispensable de s’assurer que l’objectif social continuera d’être poursuivi.
Et si finalement le meilleur moyen de préserver son ADN était de multiplier le nombre de ses actionnaires ? Ce n’est plus mission impossible à l’heure, là encore, de l’essor du crowdfunding. Des plates-formes proposent en effet aux particuliers d’investir dans ces projets à potentiel. Certaines sont généralistes (Wiseed, Anaxago), d’autres régionales (Graines de Start en Bourgogne, Herrikoa au Pays Basque), d’autres encore se spécialisent dans le foncier (Energie Partagée, Terre de liens). Et lorsqu’aucune ne correspond aux besoins, les entreprises sociales n’hésitent pas à les créer, à l’instar des Jardins de Cocagne (lire le témoignage page ci-contre). Plus que jamais, les épargnants français cherchent à donner du sens à leur argent. Et les entrepreneurs sociaux sont aux premières loges pour leur en offrir.
(1) “Comment et pourquoi favoriser les investissements à impact social ?”, Rapport du Comité français sur l’investissement à impact social présidé par Hugues Sibille, septembre 2014.
À découvrir
Services partenaires
© L'Express

source