L’ex-portail de vente Vente-Privée fêtait cet automne son vingtième anniversaire. Apparu aux prémisses d’un marché de la mode en ligne auquel beaucoup de décideurs ne croyaient pas encore, le site est devenu le témoin privilégié des transformations cross-canales puis multicanales qui ont suivi. Une histoire propre mêlée à une période charnière pour le commerce, que son CEO, Jacques-Antoine Granjon, se remémore pour FashionNetwork.com.


Lire également notre interview de Jacques-Antoine Granjon : “Nous voulons être moins dépendants des stocks de marques

“Le début du projet Vente-Privee remonte à 1998-99, quand nous commencions à réfléchir à transformer notre métier d’origine, soldeur grossiste, en utilisant ‘l’outil’ Internet”, se souvient le dirigeant, pour qui le vrai démarrage est cependant intervenu en 2004, trois ans après la création de la structure, grâce à l’arrivée de l’ADSL dans les ménages. “Les sons, photos et vidéos pouvaient enfin circuler, à une époque où l’on n’était pas encore submergé de contenus”. Une autre étape clef sera franchie en 2010 avec l’arrivée des smartphones, qui vont durablement transformer les modes de consommation.
Une transformation qui a dû cependant faire face à des réticences chez les responsables de marques. “Notre questionnement, il y a 20 ans, était de savoir comment vendre un vêtement ou une paire de chaussures sur Internet, à une époque où on nous expliquait que ‘jamais les consommateurs n’en achèteraient en ligne’ car ‘on ne peut pas essayer’, rappelle Jacques-Antoine Granjon. “Vingt ans plus tard, tout se vend sur Internet, de la fast-fashion au grand luxe, et sur tous les secteurs. Ce sont deux décennies de bouleversement de la distribution, avec, en toile de fond, pour moi, le renforcement du commerce physique”, insiste le responsable. Le digital représente la praticité ou l’opportunité. Et il a poussé les magasins à se réinventer, pour que les gens continuent de venir en boutique. Il ne faut pas opposer les deux mondes. Ce sont désormais souvent les mêmes”.

Internet était à l’époque largement associé à une menace, pour le commerce, un far-west où viendraient s’endommager les images de marques. Un grand paradoxe, se souvient le CEO. “Les marques avaient peur d’aller sur Internet, craignaient de perdre le contrôle. Or Veepee leur a permis d’écouler leurs invendus sans abîmer leur image, et leur a offert un canal puissant et créatif pour répondre à leurs problématiques de stocks, de promotion, puis de trafic, de façon qualitative”. C’est ainsi que, pour rassurer des marques redoutant de voir leurs produits décotés se rependre sur la Toile, Veepee fait le choix d’être un site fermé, empêchant les moteurs de recherche d’en inventorier l’offre. “C’est pour cela que nous sommes un site fermé: pour que les moteurs de recherche ne puissent pas exposer à tous les produits en promotion”. Permettant au portail de se concentrer sur l’essentiel.

“Notre modèle d’origine, c’est de redonner vie à des produits en fin de vie, rappelle Jacques-Antoine Granjon. Destinés aux bacs des solderies, nous les remettons en scène dans un écrin désirable, créatif et innovant. Dans le respect total de l’image de la marque. Là est le succès de Veepee”.

Ambitions à l’international

Fort de son succès dans l’Hexagone, Vente-Privée s’est essayée au marché européen. Avec très vite un écueil flagrant: tous les produits sourcés sur le Vieux-Continent ne sont au final vendus que sur la plateforme française, déjà dotée d’un trafic massif. Quant à l’aventure américaine, elle sera de courte durée. “Dans un pays où les outlets sont la norme, notre modèle n’a pas trouvé sa place”, se rappelle le dirigeant, et cela malgré 60 millions de dollars de chiffre d’affaires. L’entreprise change alors de stratégie, et se met en tête de racheter ses concurrents les plus profitables. Se succèderont ainsi les acquisitions de Privalia pour l’Espagne, l’Italie, le Brésil et le Mexique, Vente-Exclusive pour la Belgique, et E-boutic en Suisse.

“On a revendu l’activité mexicaine de Privalia. On a conservé le Brésil, où nous sommes numéro 1 avec 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous revendrons certainement cette activité, mais à notre rythme, quand nous l’aurons décidé. Nous avons aussi fermé la Pologne, le Danemark, et le Royaume-Uni juste avant le Brexit car cela devenait complexe administrativement”.


Aujourd’hui, la France représente 55% du chiffre d’affaires de Veepee, et 45% sont réalisés dans le reste de l’Europe. Une activité européenne qui trouve son équilibre entre cinq marchés: la France, le Benelux, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Et ceci même si Jacques-Antoine Granjon confie que la croissance reste compliquée outre-Rhin, où les taux de retours sont supérieurs à 60%.

“Le 11 janvier 2022 marquera une étape importante: toute l’entreprise aura migré sur une seule et même plateforme européenne”, nous annonce le dirigeant. “Nous aurons terminé la convergence de 8 plateformes en une seule. Nous aurons les mêmes outils de production, de livraison, de mise en scène, de pricing etc… Une entreprise de cette taille qui entreprend un tel chantier c’est exceptionnel. Les équipes de Veepee ont mené un travail gigantesque. Nous ne sommes plus un groupe de sociétés, mais une seule et même marque européenne: Veepee. Cela va nous rendre beaucoup plus efficaces”.

Concurrents et procès

Jacques-Antoine Granjon n’a jamais mâché ses mots face à ses concurrents, régulièrement accusé de concurrence déloyale et parasitisme sur un marché créé par Vente-Privée. Une rivalité historique qui emmènera plusieurs fois l’entreprise en justice face à Brandalley ou ShowroomPrivé. Y compris sur le nom même de Vente-Privée.com, que l’entreprise s’agacera de voir utilisé pour du référencement payant par ses concurrents, captant ainsi une partie du trafic des adeptes de ventes événementielles. Jusqu’à faire prononcer la nullité de la marque, jugement que Veepee a dernièrement fait casser en appel.


“Concernant nos concurrents, sur notre cœur de métier il n’y a plus grand monde”, pointe aujourd’hui Jacques-Antoine Granjon. “Mais oui la concurrence est saine, notamment pour le consommateur. Nous avons été copiés, nos idées comme nos innovations, souvent mal, allant même jusqu’à copier les coquilles dans nos conditions générales de vente. Cela a pu m’agacer à une époque mais cela ne m’intéresse plus”, assure le CEO. “On peut concurrencer en inventant quelque chose. On peut concurrencer en inventant: personnellement je n’ai pas vu une seule innovation. Pour moi, ce qui est important, c’est qu’est-ce qu’on invente pour demain. Il y a tellement de sujets de développements possibles que je ne regarde pas ceux qui copient, mais ceux qui innovent, dans l’e-commerce ou ailleurs, ceux qui sont inspirants et qui me donnent de l’énergie”.

Un autre dossier judiciaire de Veepee attend encore son dénouement. Depuis 2019, la structure est accusée de tromperie sur les prix par la DGCCRF (direction générale de la concurrence, consommation et répression des fraudes). Au cœur de l’affaire, les prix de référence, dont l’instance estime qu’ils ne correspondent parfois pas à la réalité afin de gonfler les rabais affichés. Vente-Privée avait fermement contesté les dires des enquêteurs. “Pour l’instant nous n’avons pas de nouvelles, mais il y a un procès attendu en 2022”, nous indique Jacques-Antoine Granjon.

Licorne qui veut transformer son modèle

Figurant sur la liste des 17 licornes tricolores valorisées à plus d’un milliard d’euros, Veepee n’entend pas se reposer sur ses lauriers numériques. “Nous voulons être moins dépendant des stocks de marques”, nous explique son dirigeant pour qui l’entreprise ne doit pas être tributaire du choix d’une marque d’écouler ou non ses invendus, de les vendre chez elle ou ailleurs, en outlet ou en ligne… Et même s’il estime qu’il y aura toujours du stock à écouler, le responsable relève que les marques optimisent toujours plus efficacement leur approvisionnement.


Autre évolution notable du marché: la transformation de l’état d’esprit des équipes. “Et en face nous avons une nouvelle génération qui aspire parfois plus à travailler en freelance que dans une entreprise. Ou alors être en entreprise mais travailler comme en freelance”, explique le dirigeant. “C’est notamment ce qu’on a fait chez Veepee avec le télétravail. Il y a une aspiration à moins de hiérarchie, à plus d’autonomie et de responsabilité, sûrement en lien avec la période post-crise que nous vivons. Ce qui n’est pas simple à mettre en place”, confie Jacques-Antoine Granjon.
 
Autant surement que le rose de Veepee, Jacques-Antoine Granjon est devenu lui-même  l’icône de toute une génération de start-uppers. Qu’il suit avec intérêt. “On assiste à un élan formidable d’entrepreneurs, avec des excès parfois. Les start-up ont eu beaucoup de financement en early stage. La nouvelle donne, c’est qu’arrivent des sommes importantes, presque au niveau de celles que les Américains ou Asiatiques injectent dans leur économie. Nous sommes dans ce momentum. Celui d’une croissance en volume et en chiffre d’affaires.  Mais l’enjeu est de développer des entreprises profitables, qui se développent sur plusieurs marchés. On peut difficilement rester franco-français. Il faut avoir l’ambition de dépasser l’Hexagone”.
 
Spontanément, Jacques-Antoine Granjon s’étonne de voir l’éducation française si critiquée. Alors même que, pointe-t-il, elle produit des ingénieurs hautement qualifiés, aux fortes diversités de savoir-faire et talents, que les entreprises étrangères cherchent à débaucher. Le dirigeant salue néanmoins la capacité de la technologie française à se remettre en question, s’échinant à trouver créativement de nouvelles approches et possibilités. “La France est un pays exceptionnel, d’une grande richesse” pour Jacques-Antoine Granjon, pour qui l’avenir se joue cependant au niveau européen. “Face aux géants américains, chinois, ou indiens, si nous ne sommes pas en Europe unifiés autour d’ambitions et règles communes, cela va être compliqué”, conclut-il.
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