L’intensification des actes « éco-guerriers » ou « éco-activistes » dans les pays occidentaux nous amènent à nous pencher (de manière légère, non-académique) sur l’histoire de ces mouvances aux Etats-Unis. 
Je vais commencer par donner mon opinion, ce qui change de l’ordre habituel des choses. Néanmoins, il y a parfois plus important que l’ordre journalistique… il y a par exemple la civilisation. Comme vous le verrez ci-dessous, les écologistes ont parfois fait des choses admirables, y compris au nom de la « désobéissance civile » – mais aussi des choses qui le sont nettement moins dont je souhaite n’évoquer qu’un seul point dans cet édito.
Envisager de s’en prendre à des œuvres d’art dans des musées, ce n’est pas juste un manque d’intelligence : c’est passer la porte de sortie de la civilisation. C’est se rapprocher des « iconoclastes » ; des Talibans qui ont dynamité les Bouddhas de Bamiyan. Même s’il s’agit de jeunes écervelés, il convient dans tous les cas de durcir les lois contre ceux qui s’en prennent avec préméditation aux œuvres d’art dans les musées, car un jour, en cas contraire, l’irréparable sera commis.
Je ne pense pas qu’il y ait besoin d’en dire plus sur le sujet, mais n’attendons pas s’il vous plaît qu’un drame arrive.
Ceci dit, que cette misérable actualité créée par des zozos (qui se collent aux œuvres d’art dans les musées ou jettent de la soupe dessus) soit ainsi l’occasion de passer à quelques chose de positif : parlons d’histoire… et même de littérature !
La défense du territoire, en Amérique, a compris des formes d’activisme avec une histoire particulièrement violente. Ainsi formulée, vous aurez deviné que nous faisons remonter l’histoire de cette « défense de l’environnement » à l’époque de la conquête coloniale. En effet, dès les premiers jours, des visions différentes de l’environnement sont à l’origine des conflits. Les Européens, pensent que les « indiens » n’ont pas une utilisation rationnelle de l’environnement et n’en sont pas « propriétaires », à commencer, évidemment, par les tribus nomades : puisqu’elles ne sont pas là… c’est qu’elles ne sont pas chez elles ! Ainsi, de leur côté, les « Indiens » sont obligés de lutter contre l’appropriation de leurs terres par les « nouveaux américains ». Rapidement, la « terreur pour l’environnement » s’installe avec, on peut leur accorder cela, du côté des peuples autochtones une vie bien plus en harmonie avec la nature.
Un siècle plus tard, des communautés utopiques prendront le relai dans les forêts des Etats-Unis : les hippies désirant vivre simplement entre eux au milieu de volutes de fumée. Bien évidemment, se mettre en marge n’a pas empêché le monde de tourner, de s’industrialiser et de saccager l’environnement, petit bout après petit bout.
L’époque contemporaine a connu quelques inventeurs d’idées importants aux Etats-Unis en matière de compréhension des enjeux et de défense de l’environnement.
Le concept même de « désobéissance civile » a été inventé par un Américain, puisque « Civil Disobedience » est le titre du livre publié en 1849 par Henry David Thoreau. En juillet 1846, Thoreau est emprisonné, car il a volontairement refusé de payer un impôt à l’État américain. Par ce geste de « désobéissance civile », il entendait protester contre l’esclavagisme qui régnait alors aux Etats-Unis et la guerre américano-mexicaine. Il n’avait alors passé qu’une seule nuit en prison, car sa tante avait payé la caution, ce qui l’avait rendu furieux. Le philosophe tient un discours abolitionniste, et appelle tous les fonctionnaires à ne plus servir l’État esclavagiste. 
Entre 1944 et 1949, Thoreau va vivre dans une cabane de pins dans la forêt à Concord (Massachusetts), ce qui rappelle l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau (et sa quête du Bon Sauvage) dans la forêt d’Ermenonville. On ne peut toutefois pas qualifier Thoreau « d’ermite » : il retrouve souvent ses amis. Il donne à ses contemporains l’exemple d’un rapport actif avec la nature, en dehors de toute contemplation romantique et s’élève contre la société à laquelle il oppose le concept de « simplicité volontaire. » Il écrira son célèbre Walden ou la Vie dans les bois. 
Défense de l’environnement, refus d’une certaine technicité, esprit de résistance : Henry David Thoreau donne des bases à l’éco-activisme, et il est encore extrêmement lu et commenté de nos jours.
Il meurt un an après que l’esclavagisme ait mené les Etats-Unis au début d’une guerre fratricide mais libératrice, en 1862.
Deux livres vont grandement inspirer la naissance de la mouvance écologiste américaine : « Printemps silencieux » et « Almanach d’un comté des Sables ».
En 1964, Rachel Carson marque une étape dans la prise de conscience écologiste avec son livre « Printemps silencieux » qui explique comment les pesticides empoisonnent la faune. Il ne s’agit pas encore « d’activisme », mais d’un début de prise de conscience.
L’autre auteur influent est Aldo Leopold. On considère souvent la création par ses soins de la forêt nationale de Gila comme ayant été à l’origine du mouvement moderne de conservation des espaces naturels aux États-Unis. Leopold critiqua vivement le mal qu’il pensait être fréquemment fait aux espaces naturels par la propriété souveraine sur les terres. Il espérait que la sécurité et la prospérité résultant de la mécanisation donnerait désormais aux gens du temps pour réfléchir à l’importance de la nature et d’en apprendre davantage sur ce qui s’y passe.
Leopold écrivit l’Almanach d’un comté des sables (A Sand County Almanac), livre lu par des millions de personnes, qui contribua à l’information publique, à la montée du mouvement de protection de l’environnement et à un intérêt accru des populations pour l’écologie.  Publié en 1949, peu de temps après la mort de Leopold, l’Almanach d’un comté des sables est une combinaison d’histoire naturelle et de philosophie. Ce livre est principalement connu pour la citation suivante, qui définit son éthique : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse. »
Pour ceux qui ne le savent pas, le mot « sabotage » vient de mouvements ouvriers britanniques appelés les « luddites » qui au début du XIXe siècle, derrière un employé nommé Ned Ludd, cassaient les machines de leurs patrons en jetant des sabots dans les rouages. Ultérieurement, et jusqu’à maintenant, les mouvements de saboteurs ont été nommé « néo-luddites ». Mais, aux USA, casser une infrastructure (machine, route, barrage…) pour des raisons écologiques, désormais ça s’appelle « monkeywrenching », ce qui peut être traduit en français par « clefàmoletter ». Ce verbe amusant traduit l’influence d’un roman particulier, « Le Gang de la Clef à Molette », publié par Edward Abbey en 1975. La désobéissance civile des années 1960-70 (Vietnam, ségrégation…) et les émeutes dans le Rust Belt (Chicago, Détroit) ont montré que la seule réponse aux maux de l’époque n’était pas le « flower power », mais aussi une petite odeur de poudre. En parallèle des mouvements pacifistes, l’époque a aussi débouché sur un activisme radical en faveur de l’environnement, et produit des OVNIS de littérature, comme celui d’Edward Abbey.
Bien sûr, cet écrivain n’est pas limitable à son talent littéraire : il y a une puissance intellectuelle impressionnante derrière, et une émotivité particulière. Bien d’autres ont habité en Utah et en Arizona avant lui, sans pour autant être bouleversés à ce point par la création de routes, de ponts et de barrages. Le désert, pour certains, c’était juste un tas de poussière.
Auparavant, dès 1968, Abbey avait écrit « Désert solitaire » devenant avec cette œuvre autobiographique  un pionnier du « nature writing ». Il y évoquait son travail de ranger dans le parc national des Arches pendant les années 1950. A travers essais et romans, Edward Abbey a ainsi, d’une part, ouvert les yeux à des millions de personnes sur les beautés du plateau du Colorado. D’autre part il aura aussi essayé de convaincre ses contemporains qu’il fallait… faire sauter toutes les structures ! Avec son Gang de la Clef à Molette, tout y passe : Routes, machines, ponts de chemin de fer, barrages, panneaux de signalisation, et l’auteur communique au lecteur sa jouissance dans la description détaillée de ses actes de sabotage. Qu’on ne s’y méprenne pas, le « Gang » est un livre immensément drôle.
« Un déicide. Tous, Hayduke compris, éprouvaient une forme de terreur sacrée face à l’énormité de leur crime. Face au sacrilège que cela représentait.
– Allez, maintenant, on lacère le siège, dit Bonnie.
– C’est du vandalisme, dit Doc. Je suis contre le vandalisme. Lacérer des sièges, c’est petit-bourgeois. »
Mais cette rage d’Edward Abbey vient d’une prise de conscience particulièrement dramatique, qu’il a argumenté dans d’autres célèbres ouvrages comme « Désert Solitaire ». D’ailleurs, si l’auteur était écologiste, il n’était pas forcément un partisan bruyant du sabotage, comme les personnages de ses romans, et il était plutôt d’esprit « conservateur » même si, pour conserver ce qu’il aimait, il envisageait aussi la désobéissance civile.
Dans « Le Gang » comme dans ses autres livres, il décrit la faune et la flore du désert, et vous emmène aussi bien vers les paradis existants que ceux que la « technique » a bousillé : « Mon Dieu, ma Chère Vieille Branche, toi et moi savons comment c’était ici avant que ces fumiers de Washington arrivent et saccagent tout. Tu te souviens de ce fleuve, comme il coulait ample et doré au mois de juin, quand les neiges des Rocheuses venaient à fondre? Tu te souviens des cerfs sur les bancs de sable et des grands hérons dans les saules et des silures si gros, si succulents et comme ils mordaient bien l’hameçon au salami pourri?
Tu te souviens de cette rivière qui descendait par Bridge Canyon et Forbidden Canyon, comme elle était verte et fraîche et claire? Mon Dieu, c’est vraiment à vomir. »
Il évoque ci-dessus le barrage de Glenn Canyon, mais si Edward Abbey était toujours parmi nous, il aurait eu du mal à comprendre ce qu’il en advient de nos jours. En effet, les changements climatiques ont  provoqué un assèchement précoce des Rocheuses et, durant l’été 2022, les barrages hydroélectriques géants comme celui de Glenn Canyon (qu’il détestait tant) ne servaient plus même à rien : il n’y avait plus assez d’eau dans les réserves, ni pour la consommation, ni pour fabriquer de l’électricité avec les turbines… Tout ça pour ça !
Si le progrès technique est une constante occidentale, il est aussi la colonne vertébrale de l’Américanité. Depuis le début des Etats-Unis : « le progrès règlera tous les problèmes », c’est une certitude. Clairement, le désert (et Edward Abbey) vous disent que non (1) !
Abbey a été enterré anonymement par ses amis dans le désert en 1989. Heureusement, il est parti avant d’avoir pu voir à quel point le tourisme de masse avait défiguré les lieux. Ironie de l’histoire, quand vous allez de nos jours à Moab, cœur des structures touristiques de l’Utah, les touristes achètent les livres d’Edward Abbey. Mais dans les parcs nationaux (comme Arches, et Canyonlands là où Abbey avait travaillé) on ne peut pas trouver « Le Gang de la Clé à Molette ». Défendre le désert, oui…. Mais tout faire péter ? Y a des limites ! En tout cas, nous on vous le recommande !
Un conseil aux plus jeunes de nos lecteurs : les « Boomers », malgré leur nom, ont de longue date arrêté de tout faire péter : surtout n’allez pas reproduire leurs délires des années 1970. Mais, en littérature… ça fait quand même du bien ! On pourrait même se poser la question : « à quoi d’autre peut bien servir la littérature » ?!
On citera aussi pour terminer ce passage sur les éco-activistes de fiction, le très bon et très américain film du réalisateur britannique Terry Gilliam : « L’armée des 12 singes », avec Brad Pitt en chef des défenseurs des droits des animaux.
Theodore Kaczynski est un autre cas singulier qui n’a pas fini d’être influent. Ses explosifs à lui ont été bien réels. On avait souligné lors de la sortie de la série Netflix « Unabomber » en 2017 à quel point elle était réussie, mais qu’elle faisait l’impasse (volontairement) sur la pensée de Kackzinsky. Le sujet est très sensible car Kaczynski est le seul réel terroriste parmi les éco-activistes américains, mais il en a de facto inspiré des générations avec à son « manifesto ». Sans oublier la culture, aussi bien à travers cette série « Unabomber » que, par exemple, dans le dernier roman cette année de Michel Houellebecq (titré « Anéantir »). Fort heureusement les activistes contemporains se sont plus inspirés de ce que Kackzinsky disait que de ce qu’il faisait. 
Affiche de Manhunt : UnabomberEn voici la synthèse : en 1971, Ted Kaczynski est parti vivre dans une cabane dans la forêt sans électricité ni eau courante à Lincoln dans le Montana (ça vous rappelle quelque chose ?). Il a pu assister à la destruction progressive de l’environnement. Le FBI a mis 23 ans, entre 1978 et 1995, pour comprendre la cohérence entre les bombes régulièrement envoyées par la poste à travers tout le pays, tuant trois personnes et en blessant 23 autres. Les cibles étaient en rapport avec la science et la technique. Kackzinsky avait développé un rejet de la technique et une forme d’anarchisme centré sur la nature. Il était aussi très opposé aux gauchistes. De facto, il s’est accordé les pouvoirs du juge (ou de Dieu) : condamnant à mort ceux qu’il jugeait responsable de la destruction de l’environnement. Ce rejet de la technicité lui avait certainement en partie été inspiré par le sociologue français Jacques Ellul.
En 2022, Theodore Kaczynski a 80 ans et il est toujours emprisonné dans le Colorado.
Parler « d’écoterrorisme » pour qualifier les « saboteurs » est donc exagéré, car le terrorisme est – au moins à travers ce cas – une grave réalité qui peut potentiellement se reproduire.
En tout cas, si vous ignoriez pourquoi certains jeunes s’autorisent à se coler à des œuvres d’art dans les musées… maintenant vous le savez !
Il existe comme chacun sait une réalité éco-activiste née dans les années 1960. Il ne faut pas mélanger avec les cas extrêmes ou littéraires mentionnés plus haut, mais ils ont au moins en commun une certaine utopie sur ce thème de l’environnement . En 1969, un an après la publication de « Désert Solitaire », les premiers groupes convergent pour fonder à Vancouver l’association d’écoactivisme « Greenpeace » qui s’oppose d’abord aux essais nucléaires américains et français. Avec les années, elle organisera des actions particulièrement musclées (même si on est très loin du « Gang de la Clé à Molette »).
En 1980 est lancé Earth First, un mouvement activiste qui est pour sa part tout à fait inspiré par les exploits littéraires du « Gang » : l’un n’aurait peut-être pas existé sans l’autre. Earth First est aujourd’hui présent dans plusieurs pays, et son logo est composé d’un tomahawk et d’une… clé à molette. A la fin des années 1980, Earth First passe à l’action directe et à la destruction des infrastructures menaçant des écosystèmes fragiles, avec des actes de sabotage. Depuis 1990 l’organisation a pris un tournant clairement anarchiste. Les slogans sont de cet ordre : « Détruit ce qui te détruit » ou « Pas de compromis dans La Défense de Mère la Terre » (Mother Earth).
www.earthfirstjournal.news
Après la création de ces mouvements, on passe assez rapidement de la notion de « défense d’un territoire » ou « de la nature » sur le sol américain à celle de « défense de la planète ».
Si les tribus sont moins militantes qu’au XXe siècle, notons pour conclure (avec une référence à notre introduction) qu’un des plus notables mouvements récents d’écoactivisme a été réalisé à la réserve Sioux de Standing Rock, qui est à la frontière des Dakota du Nord et du Sud, afin d’empêcher le pipeline souterrain du Dakota de passer près de la « rez » (2) et dans des sites « sacrés ». Le pipeline a été terminé, mais non sans qu’il y ait eu des manifestations magnifiques, parfois un peu « chaudes », et certaines victoires symboliques pour les tribus, comme par exemple la défense par l’ONU de leur droit à l’information et de leur droit à manifester.
Voir notre article du 22 décembre 2016 sur le sujet
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Le capitalisme américain s’accompagne donc depuis sa création de protestations éco-activistes radicales, généralement discrètes (quand elle ne font pas « boom »). Pour, tout de même, dire un mot de l’écologie électorale dans le pays, on peut certainement penser que cette radicalité est consubstantielle aux écologistes. Le Green Party a toujours affiché un gauchisme décomplexé, et en conséquence des scores électoraux très modestes (0,3% à la Présidentielle de 2020 et un record de 2,7% à la Présidentielle de l’an 2000) (3).
Au pays du capitalisme… c’est la norme qui prévaut !
Bien entendu, nous n’avons exploré ici ce thème que très superficiellement, et l’histoire de l’écologie américaine est beaucoup plus riche, depuis les premiers jours, quand Thomas Jefferson donnait les moyens aux pionniers de soumettre le « wilderness » du continent, en passant par les travaux sur la « Justice environnementale » (envers les tribus et les anciens esclaves) mais aussi tout ce qui permet de protéger l’environnement des ambitions capitalistes quand elles deviennent dangereuses. Il convient d’ailleurs de remarquer que les pressions écologistes ont permis d’aboutir à des lois importantes de préservation de l’environnement, mais certainement pas à une structuration législative parfaite, chacun aura pu le constater. Dans un futur proche il y aura donc toujours des écoactivistes !
– 1 – Et aussi les pauvres, les victimes du racisme etc…
– 2 – Réserve.
– 3 – Au contraire, en Europe les Grünen allemands ou Les Verts français sont des partis qui ont été initialement créés par des trotskystes espérant ainsi camoufler leur radicalité afin de réaliser des scores électoraux plus importants que ce que luer « Quatrième internationale » pouvait leur laisser envisager.
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