Evoluant au sein de La Redoute depuis les années 80, d’abord aux achats, puis dans l’équipe presse et à la direction du style, Sylvette Boutin-Lepers orchestre depuis près d’une décennie les collaborations mode que le véadiste nordiste -propriété du groupe Galeries Lafayette– noue avec des créateurs et griffes en devenir. Comment se décident et se concrétisent ces alliances ? A quoi servent-elles ? Qu’est-ce qui anime cette femme enthousiaste et curieuse de la mode d’aujourd’hui ? FashionNetwork.com a rencontré celle qui est depuis 2011 la responsable des partenariats créateurs et image de La Redoute pour explorer ce mécanisme de la collab’, adopté par toute la sphère mode, du mass market jusqu’au luxe.


FashionNetwork: Comment en êtes-vous venue à diriger les collaborations créateur chez La Redoute?

Sylvette Boutin-Lepers: J’ai commencé à m’y intéresser lorsque je travaillais au sein de l’équipe presse, au début des années 2000, puisque l’on assurait la partie communication sur ces projets, puis j’ai pris la tête du département presse, et celui du bureau de style en 2014. J’ai alors eu la responsabilité de ces collaborations, de la détection du créateur jusqu’à la mise en scène de la collection. Il s’agit d’une tradition chez La Redoute, puisque les partenariats mode ont débuté en 1969 avec Emmanuelle Khahn, qui révolutionnait alors le marché du prêt-à-porter français.
FNW: Quel est votre cahier des charges chaque saison pour faire naître ces capsules?

SBL: Je n’ai pas de feuille de route à remplir. On ne me dit pas qu’il en faut trois ou huit par saison, les partenariats se concrétisent selon l’envie et les rencontres, de part et d’autre. On me parle de jeunes talents, je fais aussi partie de plusieurs jurys d’écoles de mode, et du programme Talents de la Fédération française du prêt-à-porter féminin. Les choses se font simplement, et, de plus en plus, ce sont eux qui viennent vers moi. 

Nous décidons de travailler ensemble si cela a du sens, s’il y a une émotion, sur le plan créatif et humain. Car je crois beaucoup à l’incarnation. Notre objectif est de garder le style du créateur, car le vêtement, c’est du vivant; tout en offrant une collection à un prix démocratique. C’est notre ligne de conduite.


FNW: Comment convainc-t-on un créateur de travailler avec La Redoute ?

SBL: Je n’aime pas le mot convaincre, car un partenariat doit relever d’une décision mutuelle. Cela veut dire que ce n’est peut-être pas le bon moment, ou qu’il y a une réticence. Il ne faut pas aller plus loin, sinon cela va donner une collection tiède.

FNW: Quelles instructions donnez-vous aux créateurs avec qui vous collaborez?

SBL: Je ne donne pas vraiment de consignes. Les seuls interdits sont la fourrure, et les pantalons à trois jambes (sourire). Car nous sommes aussi là pour vendre, tout en montrant la singularité d’un styliste. Quand nous avons travaillé avec Christelle Koché quand elle était moins connue (en 2018, ndlr), c’est son univers affirmé qui nous intéressait. Pour La Redoute, elle a adapté certaines pièces de ses collections, en changeant par exemple de coloris ou d’imprimé. Pour conserver notre positionnement prix, il arrive aussi que l’on réduise la quantité de tissu pour un vêtement.

FNW: Entre la première idée et la commercialisation, comment le processus se déroule-t-il?

SBL: Nous travaillons à trois, moi, le créateur et une modéliste attitrée qui accompagne le styliste dans la traduction de ses idées, en termes de faisabilité et de bien-aller. Il s’écoule en général six à huit mois avant que les produits, toujours fabriqués en Europe à partir de matières responsables (coton bio…), ne soient mis en vente. Nous organisons trois à cinq rendez-vous physiques, pour les essayages notamment. Le créateur Benjamin Benmoyal, (dont la capsule avec La Redoute a été dévoilée en mars, ndlr), est bien sûr venu dans notre atelier à Roubaix.

Je dis souvent aux jeunes stylistes: ‘une image se construit lentement, mais elle peut se défaire très vite’. Nous partageons tout avec eux, et sommes exigeants quant à leur implication, du choix de la matière dans notre tissuthèque jusqu’au photographe et au casting de la campagne. Je suis garante de l’image de La Redoute, et je me sens aussi garante de l’image du créateur. C’est un rapport de confiance.


FNW: Avez-vous carte blanche ou devez-vous soumettre les idées de collaboration à la direction?

SBL: A La Redoute, nous sommes entourés de gens bienveillants. Je dirai que c’est un partage, la direction est informée et elle valide toujours les projets. Il doit y avoir un mix dans nos collaborations: des grands noms connus de tous qui n’ont rien à prouver, comme Courrèges ou Vanessa Seward, des jeunes créateurs connus d’un public plus averti, à l’instar de Christelle Kocher, et des étudiants en mode qui construisent leur première collection (partenariat avec la HEAD de Genève). Le dernier pilier est la collaboration avec des marques établies et créatives, comme Balzac Paris ou Maison Château Rouge.

Mais ces dernières années, nous avons aussi fait plancher des salariés de notre entrepôt pour créer une capsule mode avec le collectif About a Worker, ou mis en place une mini-collection avec les joueuses de l’Olympique Lyonnais au moment de la Coupe du Monde féminine de football. Ces partenariats montrent que La Redoute suit bien l’air du temps, et a toujours su se renouveler depuis 180 ans.

FNW: Les quantités produites et les niveaux de ventes ne sont pas les mêmes selon les différents types de partenariats?

SBL: Non, c’est évident. Cela peut aller d’une centaine de pièces produites, pour un tout jeune styliste, à plusieurs centaines de pièces. A une époque, nous faisions du réassort tout au long de la saison, maintenant ce n’est plus le cas pour les capsules. On se dit que la collection est d’un instant donné.

Concernant la profondeur de collection, nous avons plus tendance aujourd’hui à sélectionner deux ou trois silhouettes fortes, plutôt qu’une longue série de produits, pour gagner en efficacité, en visibilité, et pour une question de stocks également.

FNW: Est-ce une activité profitable pour La Redoute?

SBL: Le sujet pour moi c’est vraiment le soutien à la création, permettant à de jeunes talents d’avoir une forte visibilité, même à l’international. Après, sur le plan commercial, on ne produit pas des milliers de pièces donc cela reste restreint, même si pour certaines collaborations, comme celle avec Vanessa Seward, le bilan est intéressant.

FNW: Les jeunes stylistes et marques partenaires sont-ils rétribués, et si oui comment?

SBL: Ils bénéficient d’un intéressement sur le chiffre d’affaires. Il faut aller jusqu’au bout du soutien.


FNW: Pour quels créateurs pensez-vous que l’alliance avec La Redoute a été un tremplin?

SBL: Depuis que je suis en charge de ces partenariats, je dirais que nous avons par exemple contribué à mettre en lumière Anthony Vaccarello à un moment où il était encore peu connu, en 2011, tout comme Simon Porte Jacquemus en 2014. Ce serait prétentieux de dire que c’est grâce à La Redoute qu’ils ont gagné en visibilité, mais eux me disent que cela a été une belle vitrine pour leur travail. La Redoute apporte un coup de projecteur, tout en n’étant qu’un petit maillon de la chaîne.

FNW: Y a-t-il des capsules qui ne fonctionnent pas?

SBL: Certaines ont moins bien marché. Que ce soit en raison du style, moins intéressant, ou du choix d’un imprimé… Ce n’est pas une science absolue!

FNW: Comment parvenez-vous à rester à l’écoute de la nouvelle scène mode?

SBL: Je suis curieuse de nature, et je n’ai qu’une peur dans ma vie professionnelle, celle de m’ennuyer. J’ai toujours eu envie de découvrir. L’univers de la création est passionnant, plein d’idées et d’envies. Et je dois dire que cela fait du bien d’écouter de jeunes optimistes! Au quotidien, je lis beaucoup, je vais à des expositions, je me rends au Festival d’Hyères comme à Casa 93, ou dans des incubateurs. Je n’ai pas de bureau fixe. Ces rencontres me nourrissent. 

FNW: Nous n’avons pas parlé des Fashion Weeks. Est-ce un rendez-vous que vous suivez avec attention?

SBL: Je ne suis pas fan de la notion de mode et de tendance. Je préfère le style. Pour moi, chacun doit tracer sa route, cultiver sa propre image. Je regarde les défilés par curiosité, mais ce n’est pas ce qui me guide.


FNW: Après Wrangler et Sakina M’Sa, pouvez-vous nous parler des prochaines capsules à venir?

SBL: Nous collaborons avec Constance Gennari, la fondatrice de The Socialite Family (un site lifestyle présentant les intérieurs de multiples familles, qui s’est diversifié dans la création de mobilier, ndlr). Elle voulait s’essayer au prêt-à-porter et m’a contactée. Cela tombait bien car dans ce souci d’incarnation que j’affectionne, Constance a une vraie allure, un héritage franco-italien très intéressant. La collection sortira le 18 mai. Je n’en dis pas plus…

FNW : Votre expertise mode a sans doute dû vous valoir des offres d’emploi intéressantes. Vous restez fidèle à La Redoute?

SBL: J’ai reçu de nombreuses propositions, venant d’autres marques et de griffes de luxe. Mais je pense qu’il y a encore des choses à faire avec La Redoute. Et puis j’ai un vrai attachement à cette boîte: elle a des aspects énervants, comme partout, mais beaucoup plus de bons côtés. J’ai aussi un attachement très fort à des personnes. Nathalie Balla, qui a codirigé l’entreprise de 2014 à 2022, est de celles-là.

FNW: Que souhaitez-vous explorer pour les saisons à venir?

SBL: Je souhaiterai pourquoi pas approcher des noms encore plus connus, des grandes maisons. J’ai aussi l’idée d’inclure des artistes dans notre démarche, et de mêler davantage mode et décoration. Tout le monde fait des collab’. Alors il ne faut pas s’endormir!
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