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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur un projet de loi pour une République numérique. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.
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Conseil d’ÉtatAssemblée générale
Séance du jeudi 3 décembre 2015
Section de l’intérieur
Section des finances
Section des travaux publics
Section de l’administration
N° 390741
E X T R A I T   D U    R E G I S T R E    D E S   D É L I B É R A T I O N S
AVIS SUR UN PROJET DE LOI pour une République numérique
1. Le Conseil d’État a été saisi, le 6 novembre 2015, d’un projet de loi pour une République numérique.
Présentation du projet de loi
2. Aux termes de son exposé des motifs, ce projet de loi vise trois principaux objectifs :
favoriser la circulation des données et du savoir ;
œuvrer pour la protection des individus dans la société numérique ;
garantir l’accès au numérique pour tous.
3. Le Conseil d’État a estimé qu’il existait un important décalage entre le contenu du projet de loi et son titre « Pour une République numérique ». Il estime que l’intitulé « Projet de loi sur les droits des citoyens dans la société numérique » correspondrait plus exactement aux dispositions du projet de loi, la notion de citoyen étant entendue au sens large, comme dans la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration.
La circulation des données et du savoir
4. Le projet de loi prévoit d’étendre aux administrations l’accès aux documents administratifs qui bénéficient actuellement aux personnes physiques et aux entreprises (article 1er). Il étend le droit d’accès prévu pour les documents administratifs aux traitements algorithmiques intervenant dans un processus de décisions administratives individuelles (article 2).
5. Le projet de loi accroît considérablement le champ des documents administratifs disponibles en ligne,  notamment  en  créant  une  obligation  incombant  aux  administrations  de  mettre  en  ligne certains documents (article 3), en facilitant la réutilisation des informations publiques par la suppression de plusieurs restrictions existantes (article 4), en créant une obligation incombant au titulaire d’un contrat de délégation de service public de fournir au délégant certaines données liées à l’exploitation  du  service  public  et  d’autoriser  le  délégant  à  réutiliser  librement  ces  données (article 8), enfin en permettant à une administration ayant accordé une subvention de recueillir, auprès du bénéficiaire, certaines données liées à l’action subventionnée et de réutiliser celles-ci (article 9). Il renforce, à cette fin, les pouvoirs de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) (article 6)
6. Le projet de loi crée un « service public de la donnée » dont la mission est de mettre à disposition et de publier certaines données qualifiées de « données de référence » (article 7).
7. Le projet de loi modifie la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 relative à l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, afin de prévoir une obligation de transmission à la statistique publique, sous forme électronique, d’informations présentes dans certaines bases de données de personnes  morales  de  droit  privé  dans  le  but  exclusif  de  réaliser  des  enquêtes  statistiques (article 10).
8. Le projet de loi prévoit d’élargir le collège de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et celui de la CADA au président de l’autre autorité, ainsi que la possibilité de réunir les deux collèges en un collège unique (articles 11 à 13).
9. Le projet de loi introduit dans le code de la recherche, d’une part, un droit pour l’auteur d’une publication scientifique de mettre gratuitement sur l’internet le contenu de cette publication sous certaines conditions, d’autre part, l’interdiction à cet éditeur de limiter la réutilisation des données de la recherche ainsi rendues publiques (article 14).
10. Le projet de loi modifie la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin de simplifier les modalités d’utilisation du numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR), pour les traitements à fin statistique ou de recherche (article 15).
La protection dans la société numérique
11. Le projet de loi modifie plusieurs articles du code des postes et des communications électroniques :  il  introduit  dans  l’ordre juridique interne  le principe de neutralité de l’internet (articles 16 et 17) ; il étend expressément le secret des correspondances aux messages transmis sur l’internet (article 30).
12. Le projet de loi modifie sur plusieurs points le code de la consommation : il donne le droit à tout utilisateur de récupérer et transférer directement ses données à un nouveau fournisseur de services (article 18) ; il introduit deux nouvelles obligations de loyauté et de transparence de l’information s’appliquant aux opérateurs de plateformes en ligne vis-à-vis des consommateurs (article 19) ; il oblige les opérateurs de plateformes, dont les activités dépassent un seuil de connexions en ligne défini par décret, à élaborer puis à communiquer au consommateur plusieurs informations portant notamment sur les bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de transparence et de loyauté des informations communiquées (articles 20 et 21) ; il complète les informations prévues à l’article L. 121-83 du code de la consommation qui doivent figurer dans le contrat souscrit par un consommateur avec un fournisseur de services de communications électroniques (article 22).
13. Le projet de loi modifie la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : il énonce un principe général de libre disposition par chacun de ses données à caractère personnel (articles 23 et 24) ; il élargit les attributions consultatives de la CNIL à tous les projets de loi et de décret comportant des dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel et au traitement de celles-ci, ainsi qu’aux propositions de loi d’origine parlementaire ; il ajoute aux missions de la CNIL la conduite d’une réflexion sur les questions éthiques soulevées par l’évolution des technologies numériques ainsi que la promotion des technologies protectrices de la vie privée (articles 25, 26 et 29).
14. Le projet de loi modifie plusieurs articles du code général des collectivités territoriales : il prévoit que les schémas directeurs territoriaux  d’aménagement numérique, définis par l’article L. 1425-2 du code général des collectivités territoriales, peuvent comporter un volet portant sur une stratégie de développement des usages et des services numériques (article 31) et il permet à un syndicat mixte relevant de l’article L. 5721-2 du même code, disposant de compétences en matière de communications électroniques, d’adhérer à un autre syndicat mixte (article 32).
15. Le projet de loi prévoit que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) doit mettre à disposition du public des cartes de couverture du territoire par les réseaux des opérateurs de communications électroniques, selon un standard ouvert aisément réutilisable (article 33).
16. Le projet de loi modifie le code général de la propriété des personnes publiques afin de prévoir que le niveau de la redevance due par un opérateur de communications électroniques pour l’utilisation du domaine public hertzien peut prendre en compte l’objectif d’utilisation et de gestion efficaces des fréquences (article 34).
17. Le projet de loi reprend les dispositions de la proposition de loi relative à l’entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques adoptée en première lecture le 7 mai 2015 par l’Assemblée  nationale,  préalablement  examinée  par  l’assemblée  générale  du  Conseil  d’État  le 9 avril 2015 (article 35).
18. Le projet de loi définit les caractéristiques d’un service de recommandé électronique ayant les mêmes effets juridiques que l’envoi recommandé classique (article 36).
19. Le projet de loi insère dans le code monétaire et financier un article L. 521-3-1 qui a pour objet de permettre à un opérateur de réseaux ou de services de communications électroniques de fournir des services de paiement, sans avoir la qualité de prestataire de services de paiement (article 37).
20. Le projet de loi habilite le Gouvernement à définir par ordonnance le régime des compétitions de jeux vidéo en ligne (article 38).
21. Le projet de loi vise à permettre l’accès des personnes sourdes et malentendantes aux services téléphoniques et à certains services de communication publique en ligne des services de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics (articles 39 et 40) et à maintenir l’accès à l’internet en cas de non-paiement des factures (article 41).
Le projet de loi n’appelle pas d’autres observations, de la part du Conseil d’État, que les remarques suivantes.
22. Le Conseil d’État, comme le soulignent les observations formulées dans plusieurs des paragraphes suivants, déplore l’insuffisance de l’étude d’impact qui, sur plusieurs sujets, n’évalue pas les incidences des mesures prévues par le texte.
23. S’agissant de l’extension aux administrations publiques du droit d’accès aux documents que d’autres administrations détiennent (article 1er) pour l’accomplissement de leurs missions de service public, le Conseil d’État a considéré, en premier lieu, que cette disposition ne pouvait être codifiée dans le code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dont le champ est limité par son article L. 100-1 aux relations entre le public et l’administration. En deuxième lieu, le Conseil d’État attire l’attention sur la nécessité de compléter sur ce point l’étude d’impact afin d’évaluer le coût de cette mesure. Enfin, le Conseil d’État rappelle que l’obligation ainsi créée de transmission de telles informations entre administrations doit s’exercer dans le respect des prescriptions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés lorsque les données en cause présentent un caractère personnel. En particulier, et alors même que le traitement de ces données a fait l’objet des déclarations ou autorisations requises par cette loi à l’initiative de l’administration d’origine, l’administration bénéficiaire doit, si nécessaire, procéder à de telles formalités afin de rendre effectives, à son niveau, les garanties consacrées par cette loi en matière, notamment, de finalité du traitement et de droit d’accès et de rectification. Par suite, le Conseil d’État a estimé nécessaire d’ajouter une mention renvoyant aux obligations résultant de la loi du 6 janvier 1978 précitée.
24. S’agissant de l’article 2, le Conseil d’État rappelle le principe selon lequel aucune décision administrative, y compris dans les exemples mentionnés dans l’étude d’impact du projet de loi, ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données. Il attire également l’attention sur la nature des informations prises en compte dans un traitement algorithmique qui, par leur précision, ne doivent pas non plus permettre à des usagers de se constituer un profil permettant de  contourner  les  prescriptions  qui  seraient  applicables  aux  opérateurs.  Enfin,  il  lui  a  paru nécessaire, d’une part, de mentionner dans la loi elle-même les restrictions figurant au 2° de l’article L. 311-5  du CRPA et,  d’autre part, de prévoir un décret  en Conseil  d’État pour encadrer les modalités d’application de cette disposition.
25. S’agissant de l’obligation nouvelle, prévue à l’article 3, imposant à certaines administrations de mettre en ligne certaines informations, le Conseil d’État a considéré que l’étude d’impact relative à cet article ne satisfaisait pas aux obligations d’évaluation résultant de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Il a par ailleurs considéré, en l’état de son information, que la nature du seuil à partir duquel cette obligation s’imposerait, lequel serait fixé par rapport à l’effectif de l’administration en cause, n’était pas pertinente au regard de l’objectif poursuivi par cette disposition. Il a par conséquent disjoint cet article.
26. Le Conseil d’État n’a admis d’examiner les dispositions des articles 4 et 5 du présent projet de loi, qui complètent les dispositions du projet de loi relatif à la gratuité et aux conditions de la réutilisation des informations du secteur public, alors même que ce dernier est encore en discussion au Parlement, que dans la mesure où ce texte a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire et que le présent projet de loi en reprend précisément certaines des dispositions dans sa rédaction ou son architecture.
27. A l’article 5, le Conseil d’État a considéré qu’il n’était ni conforme à la protection des droits, ni cohérent, de supprimer le premier alinéa de l’article 13 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions  d’ordre  administratif,  social  et  fiscal.  En  effet,  la  réutilisation  des  informations publiques constitue, aux termes de l’article 10 de cette loi, un régime juridique autonome. Dès lors, cette suppression conduirait les personnes réutilisant ces informations à ne plus être tenues à l’obligation, soit d’occulter les mentions entrant dans le champ d’application des articles L. 311-5 ou L. 311-6 du CRPA, soit de rendre impossible l’identification des personnes qui y sont nommées, alors même que les administrations y sont tenues lorsqu’elles rendent publiques certaines informations. Le Conseil d’État a donc écarté ces dispositions.
28.  S’agissant  du  renforcement  des  pouvoirs   de  la   Commission  d’accès  aux   documents administratifs (article 6), le Conseil d’État a considéré qu’il n’était pas possible de donner pouvoir au président de cette commission de dresser une liste, mise en ligne, des administrations ayant confirmé une décision de refus de communication ou de publication à l’issue d’un avis favorable de la commission, dès lors qu’une décision juridictionnelle n’a pas encore statué sur la légalité de ce refus. Aussi longtemps qu’une décision de refus n’a pas été suspendue ou annulée par une décision juridictionnelle, elle bénéficie d’une présomption de légalité et ne peut par suite faire l’objet d’une stigmatisation publique. Le Conseil d’État a par suite écarté les dispositions en cause.
29.  Le  Conseil  d’État  a  observé  que  la  modification,  par  l’article  8,  des  textes  relatifs  aux délégations de service public entrait directement en contradiction avec le projet d’ordonnance relative aux concessions par ailleurs soumis à l’examen du Conseil d’État, lequel abroge ces textes et ne donne plus à la notion de délégation de service public qu’un rôle résiduel.
30. Le Conseil d’État a estimé que la création d’un service public de l’information publique ne se heurtait à aucun obstacle de principe et méritait d’être approuvée. Toutefois, il a considéré que l’article 7 du projet était entaché d’incompétence négative, dès lors que, en premier lieu, la mission de ce service public, la nature des données de référence qui en relèveraient et ses modalités essentielles d’organisation n’étaient pas suffisamment précisées et que, en second lieu, les obligations pesant sur les collectivités territoriales et les organismes privés chargés d’une mission de service public au titre de leur participation à ce nouveau service et de son financement, n’étaient pas définies. Le Conseil d’État a par conséquent écarté cet article.
31. A l’article 9 du projet de loi, le Conseil d’État a estimé qu’était dépourvu de caractère normatif le fait de permettre à l’administration qui accorde par convention une subvention, de l’assortir d’une clause permettant à l’organisme bénéficiaire de lui fournir les données et bases de données collectées ou produites dans le cadre de l’action subventionnée et de l’autoriser librement à extraire ou réutiliser ces données et bases de données. Une telle option relève, en tout état de cause, de la liberté contractuelle des parties. Le Conseil d’État a par conséquent rejeté cet article.
32. L’objectif poursuivi par l’article 10 est d’améliorer la qualité des statistiques produites et d’en augmenter  la  production  régulière,  celles-ci  devenant  moins  complexes  et  moins  coûteuses  à réaliser. Le nouveau dispositif prévoit que le ministre chargé de l’économie peut décider que les personnes morales de droit privé sollicitées pour l’enquête devront transmettre par voie électronique au service statistique public certaines informations présentes dans les bases de données qu’elles détiennent. Le projet comporte une série de précautions : il ne concerne que les enquêtes statistiques qui sont rendues obligatoires en vertu de l’article 1er  bis de la loi du 7 juin 1951 ; la décision du ministre est prise après avis du Conseil national de l’information statistique ; elle ne vise que les personnes morales de droit privé ; les données transmises couvertes par le secret statistique et collectées uniquement à des fins statistiques ne peuvent être communiquées à quiconque. Le dispositif prévoit un régime de sanctions spécifiques, assorties de garanties assurant le respect de grands  principes  applicables  à  la  répression  administrative,  comportant  la  possibilité  pour  le ministre chargé de l’économie de prononcer une amende pouvant aller, en cas de récidive de refus de transmettre l’information dématérialisée, jusqu’à 50 000 €. Dans ces conditions le Conseil d’État a estimé que ce niveau de sanction ne méconnaissait pas le principe de nécessité et de proportionnalité des peines et pouvait, par conséquent, être admis.
33. En ce qui concerne la mise à disposition gratuite sur l’internet des résultats de recherches financées sur fonds publics, prévue par l’article 14, le Conseil d’État a relevé que l’impact d’une telle mesure sur les contrats futurs entre éditeurs et auteurs tenait à son caractère d’ordre public, lequel ne peut jouer que sur le territoire français, alors que l’effet de la diffusion sur l’internet est mondial. Cette incohérence lui a paru faire obstacle à l’adoption de cette mesure. En outre, le Conseil d’État n’a pu retenir cette disposition ainsi que celle qui qualifie de « choses communes » au sens de l’article 714 du code civil les données issues de recherches financées sur fonds publics et qui permet la libre réutilisation de ces données une fois publiées, au motif qu’il n’a pas disposé d’une véritable étude des impacts positifs ou négatifs, juridiques aussi bien qu’économiques qu’on peut en attendre.
34. En ce qui concerne l’article 15, le Conseil d’État a estimé que les conditions auxquelles sont subordonnés les assouplissements de procédure proposés pour les traitements à fin statistique ou de recherche utilisant le NIR – notamment, les finalités des traitements ; le cryptage du NIR propre à circonscrire le traitement des données concernées au sein du seul service statistique public ou du projet de recherche concerné ; l’utilisation de codes non signifiants ; la séparation des fonctions de cryptage de celles de responsable du traitement ; l’exclusion des données sensibles – apportaient, au regard du droit constitutionnel au respect de la vie privée, des garanties suffisantes de protection des données à caractère personnel.
35. S’agissant de l’article 16, le Conseil d’État a estimé que, si la mention du principe de neutralité de l’internet pouvait figurer dans le code des postes et des communications électroniques, sa définition ne pouvait être autonome et devait être assurée par un renvoi aux dispositions du règlement (UE) 2015/2010 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015, notamment celles de son article 3 intitulé « Garantir l’accès à un internet ouvert ». Il a approuvé le choix fait d’insérer le principe de neutralité ainsi précisé au sein de l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques qui fixe la liste des règles que doivent respecter les opérateurs de communications électroniques. Le Conseil d’État a par ailleurs estimé nécessaire, afin de donner son plein effet au principe de neutralité de l’internet, d’adapter la rédaction de plusieurs autres articles du même code, notamment l’article L. 32-1 qui fixe la liste des objectifs assignés au ministre chargé des communications électroniques et à l’ARCEP.
36. S’agissant de l’article 18, le Conseil d’État a estimé que, si ses dispositions suivent le même objectif que la proposition de règlement général sur la protection des données en cours d’adoption au niveau européen, il était difficile d’apprécier la parfaite adéquation du projet d’article aux règles européennes en cours d’élaboration. Il a appelé l’attention du Gouvernement sur la nécessité de veiller à la cohérence entre les deux corps de règles.
37. S’agissant de l’article 19, le Conseil d’État relève que les nouvelles obligations imposées aux opérateurs de plateformes s’ajoutent à celles qui figurent aux articles L. 111-5 et L. 111-5-1 du même code concernant les services proposés par des professionnels figurant sur les sites comparateurs, les « places de marché » et les plateformes dont l’activité est exercée dans le cadre de l’économie collaborative. Elles s’appliquent également aux modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne.
38. S’agissant des articles 20 et 21, le Conseil d’État n’a pu retenir les dispositions portant sur la concertation en vue de l’élaboration des bonnes pratiques avec les organisations professionnelles et les associations de consommateurs prévues à cet article en raison de leur caractère insuffisamment normatif. Il est loisible aux intéressés d’organiser une telle concertation à cet effet en l’absence de disposition législative.
39. Le Conseil d’État a reconnu l’intérêt de marquer dans la loi le sens de l’évolution du cadre juridique de la régulation de l’internet, comme l’avait d’ailleurs recommandé son étude de 2014 sur « le numérique et les droits fondamentaux ». Il a estimé par conséquent que pouvait être admise la disposition selon laquelle « Toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages des données à caractère personnel la concernant dans les conditions et limites fixées par la loi ou le règlement. »
40.  L’article  27  du  projet  du  Gouvernement,  inspiré  des  dispositions  du  projet  de  règlement européen relatif à la protection des données dont la rédaction n’est d’ailleurs pas stabilisée, n’en fait, en ce qui concerne l’effacement des données concernant les mineurs, qu’une transposition anticipée, partielle et approximative, tant de la définition des données concernées par ce droit, que de l’étendue de ce droit puisqu’il laisse de côté ce qui relève du droit au « déréférencement ». Il n’est dans ces conditions pas possible d’apprécier la conformité du projet de loi au droit en cours d’élaboration de l’Union européenne. Dès lors que cette conformité ne s’impose pas encore en droit, le Conseil d’État a estimé préférable d’écarter cette disposition, dont l’impact apparaît, au surplus, insuffisamment étudié.
41. S’agissant de l’article 30, le Conseil d’État a relevé que le projet de loi retenait utilement un champ large pour l’application du secret des correspondances en prévoyant expressément qu’outre les envois postaux et les communications téléphoniques, il devait aussi s’appliquer, d’une part, à l’ensemble des messages acheminés tant par les opérateurs de communications électroniques que par les éditeurs de services de communication au public en ligne, d’autre part, au contenu de la correspondance mais aussi à l’identité des correspondants ainsi que, le cas échéant, à l’intitulé du message et aux documents joints. Le Conseil d’État a considéré que les dispositions prévoyant que les atteintes au secret des correspondances, dans son champ ainsi élargi, étaient sanctionnées au titre de différents articles du code pénal, n’étaient pas nécessaires, compte tenu de la rédaction des articles de ce code.
42. S’agissant de l’article 31, le Conseil d’État a estimé que les dispositions prévoyant que, dans les domaines de compétence que la loi leur attribue, les départements et les régions peuvent établir une stratégie de développement des usages et services numériques, n’ont pas de caractère normatif et devaient donc être écartées. S’agissant de l’article 32, il a estimé utiles les dispositions prévoyant, par dérogation aux dispositions actuelles, qu’un syndicat mixte relevant de l’article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales et exerçant des compétences en matière de communications électroniques pourrait adhérer à un autre syndicat similaire, en vue de faciliter et d’accélérer le déploiement de réseaux d’initiative publique à très haut débit d’ici à la fin 2021.
43. L’article 33 du projet de loi prévoit, afin d’améliorer l’information des utilisateurs et d’élargir leurs  possibilités  de  choix,  objectifs  assignés  par  la  loi  à  la  régulation  du  secteur  des communications électroniques, que l’ARCEP doit mettre à la disposition du public des cartes de couverture du territoire en services de communications électroniques, sous un standard ouvert, et qu’à cette fin, les opérateurs doivent transmettre à l’Autorité les données servant à établir ces cartes. Le Conseil d’État a approuvé cette disposition qui impose aux opérateurs des obligations proportionnées au regard des objectifs poursuivis.
44. S’agissant de l’article 34, le Conseil d’État a admis que, pour fixer le niveau des redevances d’occupation du domaine public hertzien dues par les opérateurs de communications électroniques, il soit tenu compte non seulement, comme c’est le cas actuellement, des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation d’occupation, mais aussi de l’objectif, par ailleurs prévu par l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, d’une utilisation et d’une gestion efficaces des fréquences radioélectriques, tout en rappelant que le niveau de ces redevances doit demeurer fondé, à titre principal, sur la valeur intrinsèque du patrimoine hertzien et des avantages procurés au titulaire d’une autorisation d’occupation.
45. S’agissant de l’article 36, le Conseil d’État a relevé que, si le projet de loi pouvait utilement créer un recommandé électronique ayant les mêmes effets juridiques que l’envoi recommandé postal,  dès  lors  que  les  conditions  prévues  par  le  règlement  (UE)  n°  910/2014  du  Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 étaient respectées, ce nouveau service entièrement dématérialisé ne constituait pas un envoi postal et ne relevait donc pas des services postaux. Les dispositions en cause ne pouvaient ainsi trouver leur place au sein du livre Ier du code des postes et des communications électroniques consacré à ces services. Le Conseil d’État a aussi observé que le recommandé électronique, s’il utilisait, pour son acheminement, des réseaux de communications électroniques, n’était pas, par lui-même, un service de communications électroniques, mais un service de communication au public en ligne défini par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Pour ces motifs, le Conseil d’État a estimé que les dispositions relatives au recommandé électronique devaient être insérées dans le livre III du code, au sein d’un nouveau titre intitulé « Autres services ». Enfin il a considéré que le nouveau dispositif de recommandé électronique ne faisait pas obstacle à l’application des dispositions de l’article L. 112-15 du code des relations entre le public et l’administration.
46. S’agissant de l’article 37, le Conseil d’État s’est interrogé sur les conditions d’entrée en vigueur de cette disposition. En l’état, elle n’est pas compatible avec la directive 2007/64 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 (dite DSP 1). L’article 37 anticipe la transposition de la directive service de paiement 2 (dite DSP 2) qui, en modifiant la directive DSP 1, a précisément pour objet d’étendre au bénéfice des fournisseurs de réseaux ou de services de communications électroniques la dérogation aux interdictions de réaliser des services de paiement. La directive DSP 2   a   été   définitivement   adoptée   par   le   Parlement   européen   et   par   le   Conseil   le 16 novembre 2015.  Son  contenu  est  désormais  figé  et  elle  est  en  instance  de  publication. L’article 116 de la directive DSP 2 prévoit qu’elle entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication. Son article 115 prévoit un délai de transposition de 2 ans à compter de cette date d’entrée en vigueur. Il ajoute que c’est à compter de cette date que les États appliquent les dispositions  prises  pour la  transposition.  La  directive  a  entendu  ainsi  retenir  une  date  unique d’entrée en vigueur pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Dans ces conditions, le Conseil d’État a ajouté au projet du Gouvernement une disposition spécifique prévoyant l’entrée en vigueur de l’article 37 à une date fixée par décret, conformément aux dispositions des articles 115 et 116 de la directive DSP 2.
47. Le Conseil d’État a estimé que l’inclusion au I de l’article 39 d’une obligation spécifique d’accessibilité pesant sur une partie seulement des associations reconnues publiques (définie par un seuil) posait un problème d’articulation avec la même obligation de portée générale pesant sur les personnes  privées  chargées  d’une  mission  de  service  public  et  que  le  critère  tiré  de  la reconnaissance d’utilité publique, qui n’est pas en rapport avec l’objet de la loi, ne permettait pas de justifier une atteinte au principe d’égalité devant la loi.
Le Conseil d’État a en revanche admis au II du même article qu’un seuil déterminé uniquement en fonction du chiffre d’affaires des entreprises était en rapport avec l’objet de la loi et au IV que le calendrier de mise en accessibilité des services téléphoniques soit différencié entre les trois catégories d’acteurs concernés (administrations et personnes privées chargées d’une mission de service public, entreprises, opérateurs de télécommunications), après avoir vérifié que ce calendrier prendrait  bien  en  compte,  de  manière  homogène,  les  moyens  techniques  et  financiers  des organismes concernés ainsi que leur effectif.
48. S’agissant de l’article 40, le Conseil d’État a estimé que les modalités de recouvrement de la sanction administrative punissant le non-respect de l’obligation de mention en ligne des conditions d’accessibilité relevaient du domaine réglementaire et que la règle d’affectation au fonds d’accompagnement de l’accessibilité universelle faisait double emploi avec la modification de l’article L. 111-7-12 du code de la construction et de l’habitation, prévue au même article 40. Il a pris acte de l’abandon, en séance, par le Gouvernement de son intention de sanctionner également par une amende la méconnaissance des obligations de fond fixées au I de cet article. Il a enfin estimé qu’il n’était pas  nécessaire d’habiliter le pouvoir réglementaire à définir  par décret en Conseil d’État les modalités de formation des personnels intervenant sur les services de communication publique en ligne, et moins encore, à créer par la même voie une commission administrative de suivi des dispositions de cet article, le pouvoir réglementaire disposant de plein droit de cette compétence. Les dispositions en cause ont, par conséquent, été écartées.
49. Le Conseil d’État a estimé que le maintien de l’accès à l’internet qui se rattache au principe constitutionnel de la liberté de communication constituait un motif d’intérêt général permettant de porter atteinte à des principes constitutionnels tels que la liberté d’entreprendre et au droit de propriété. Il a également considéré que le maintien de la connexion par le fournisseur d’accès à l’internet durant deux mois n’entraînait pas, contrairement à ce qu’exposait le Gouvernement dans son étude d’impact, le transfert du coût correspondant à ce fournisseur et ne pouvait donc méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques. Il résulte en effet de la décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, SAS Saur, du Conseil constitutionnel, rendue sur renvoi de la Cour de cassation (CC, 1ère  civ, 25 mars 2015, pourvoi n° 14-40056), que ce maintien est « sans effet sur les créances des distributeurs d’eau sur les usagers » (Considérants 15 et 16). Par conséquent,  le  maintien  de  l’accès  à  l’internet  ne  fait  pas  obstacle  au  recouvrement  de  leurs créances sur les usagers par les fournisseurs d’accès.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 3 décembre 2015.

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