31 août 2017
La France libre, le fameux régime de résistance extérieure fondé à Londres par le Général de Gaulle à la suite de son appel du 18 juin 1940, comptait de nombreux combattants juifs. Leur histoire est assez méconnue. Retrouvez la suite des itinéraires personnels de douze héroïques parachutistes juifs de la France Libre. Troisième et dernière partie.
Pour lire le premier volet de cette série de portraits, cliquer ici. Pour lire le deuxième volet, cliquer ici.
Reprenons l’évocation des guerres de ces espions et saboteurs parachutistes Français Libres d’origine juive. Le Lieutenant Jean Worms[1], fut un agent du service secret britannique Special Operations Executive (SOE). Sous le nom de guerre de «Robin», il fut le chef du réseau JUGGLER, qui opérait dans la région de Châlons-sur-Marne.
Né en 1909 à Paris, il est le frère d’un autre grand résistant, Roger Worms, plus connu comme journaliste et écrivain sous le nom de Roger Stéphane, un des fondateurs de l’Observateur.
En septembre 1940, à une époque où la Résistance en est encore à ses balbutiements, il participe à différents réseaux de renseignements à Paris. En 1942 il rencontre Virginia Hall, Francis Basin et Peter Churchill, responsables des Services actions britanniques en France. En octobre 1942, il se rend en Angleterre par felouque où il suit la formation d’agent SOE.
Le 22 janvier 1943. Il est parachuté près de Chartres, en même temps qu’Henri Déricourt, «Gilbert», qui vient pour une autre mission. Sous le nom de guerre de «Robin», il doit établir un réseau nommé JUGGLER, exclusivement composé de Juifs, qui animera des groupes de sabotage dans la région de Châlons-sur-Marne. Il est réceptionné par Francis Suttill et Andrée Borrel, accompagnés de Jacques Weil, un de ses amis de longue date qui devient son adjoint. La direction du réseau est complétée par Sonia Olschanesky, «Tania», la fiancée de Jacques Weil, d’origine juive russe et née en Allemagne qui devient son courrier et, plus tard, par Gaston Cohen, alias «Justin», comme opérateur radio.
Son réseau organisera de nombreuses actions de sabotage, de renseignements et de réceptions de parachutage – et notamment des sabotages de voies ferrées à Melun.
Le 1er juillet 1943, il est arrêté au restaurant Chez Tutulle, au 8 rue Troyon à Paris, alors qu’il déjeune avec Armel Guerne. Jacques Weil, qui avait rendez-vous avec lui à 15 h pour discuter du projet de sabotage au jour J de la centrale téléphonique de Revigny (très utilisée par les Allemands pour leurs communications militaires), les voit partir menottés.
Jacques Weil reparti en Suisse, c’est Sonia Olschanesky qui reprend la direction du réseau pour six mois. A son tour arrêtée, elle est déportée et exécutée en juillet 44 au Struthof avec trois autres agents du SOE.
Jean Worms est déporté au camp de concentration de Flossenbürg. Il y est exécuté en avril 1945 comme la plupart des officiers alliés du SOE.
Il fut décoré de la Military Cross, la Croix de guerre avec Palmes et la Médaille de la Résistance.
Le Capitaine Philippe Koenigswerther[2] est né en 1918 à Dinard. Il rejoint Londres dès juillet 1940. Il est l’un des tout premiers officiers parachutistes de la 1ère Compagnie d’Infanterie de l’Air. Il est affecté au BCRA et parachuté près de La Rochelle pour être opérateur radio. Ne trouvant pas son contact, il est récupéré par le SOE et monte un réseau très efficace de sabotage et de renseignement à Bordeaux. Deux fois arrêté en 42 et 43, il s’évade à chaque fois. Il est rappelé à Londres en septembre 1943. Volontaire pour une dernière mission, il est arrêté peu de temps après. Il est grièvement blessé au cours d’une troisième évasion. Torturé et déporté en Allemagne, il est ensuite exécuté en Alsace au camp du Struthof. Il fut décoré de la Légion d’honneur, la Croix de Guerre et la médaille de la Résistance. Son nom figure aux côtés de celui du Commandant Simon, déjà évoqué, sur la plaque commémorant les étudiants de Sciences-Po morts pour la France.
Le Sous-Lieutenant Denise Madeleine Bloch[3] est née à Paris en 1915, fille de Jacques Henri Bloch et de Suzanne Lévi-Strauss.
Dès 1942, elle devient, à Lyon, la secrétaire de Jean-Maxime Aron qui dirige un réseau. Denise Madeleine Bloch travaille en équipe avec celui qu’elle fait passer pour son fiancé, Dominique Mendelsohn. Ils rejoignent tous le réseau du SOE «Detective» à partir de juillet 42. Après l’arrestation du radio anglais et de Aron, elle se cache et change de région.
Elle rejoint le réseau de Georges Starr, chef de «Wheelwright» à Toulouse, puis elle travaille à Agen. Après l’arrestation de deux de ses officiers radio, Pertschuk et Bloom, tous deux juifs, Starr décide d’envoyer Denise à Londres pour porter un rapport très détaillé. Après un voyage très éprouvant, à travers les Pyrénées, puis l’Espagne, elle arrive à Londres. Elle y est tout de suite enrôlée comme FANY (First Aid Nursing Yeomani), unité de couvertures des agents femmes du SOE. Pendant neuf mois, elle va suivre l’entraînement très intense d’agent et d’opérateur radio. C’est à Ringway que, comme tous les hommes, elle sautera et obtiendra sa qualification de parachutiste.
Elle est envoyée en France début mars 44 dans la région de Dourdan en compagnie et comme opérateur radio et agent de liaison de Robert Benoist, un illustre champion de courses automobiles, qui a déjà dirigé plusieurs réseaux.
Grâce aux messages radio de Denise, de nombreux parachutages d’armes sont effectués avec succès. Son réseau organise un maquis et effectue des sabotages. Le 18 juin 44, Benoist est arrêté à Paris. Le lendemain à Sermaise, Denise est arrêtée avec cinq autres membres du groupe. Conduite à la Gestapo avenue Foch, elle y est torturée. Elle est ensuite envoyée à la prison de Fresnes, puis en prison en Allemagne et enfin au camp de concentration pour femmes de Ravensbruck. Fin janvier 45, sur ordre d’Hitler, comme pour tous les agents alliés parachutés, elle et deux autres femmes officiers du SOE, Lillian Rolfe et Violette Szabo, sont abattues d’une balle dans la nuque puis jetées dans un four crématoire.
Denise Bloch fut décorée de la Légion d’honneur, de la Médaille de la Résistance, de la Croix de Guerre et de la Kings Cross.
Son nom est inscrit sur le Mémorial du SOE à Valençay, avec ceux de 104 autres agents de la section française du SOE morts au combat ou assassinés en captivité. Parmi eux, dix étaient juifs.
Douze destins de héros parachutistes juifs de la France libre, douze destins de fils et de filles d’Israël.
Comme vous avez pu le constater, au-delà du parcours de ces douze héros, beaucoup d’autres juifs français et de France rejoignirent ces unités héroïques des parachutistes de la France Libre et des services de renseignement et d’actions.
Au travers de mes différentes lectures, j’estime la participation des Juifs à ces différentes unités parachutistes à plus de 10 %, là où les Juifs en France représentaient moins de 1 % de la population du pays en 1939.
Et pour conclure cette présentation en Israël à l’université de Tel-Aviv, je voudrais tracer un lien indéfectible et originel entre ces parachutistes juifs de la France Libre et les glorieux parachutistes israéliens.
Et ce lien existe, il est tangible, il a un nom, et vous le connaissez déjà, c’est : Norbert Benchemoul.
Nous avons quitté Norbert à Paris en 1945. Agé de 20 ans, il prépare activement son concours pour entrer à Polytechnique ou aux Mines. Dès l’année suivante, des envoyés du Yichouv lui demandent d’expertiser des armes achetées en Yougoslavie et transitant par la France. Puis, sous la pression d’un envoyé de la Haganah en avril 1948, bien qu’il serait sûrement admis à l’X ou aux Mines, Norbert accepte de mettre son expérience du combat et des commandos au service de l’Etat juif qui va naître. Il s’envole vers la Palestine encore sous mandat. Il fera partie de ces volontaires étrangers venus de tous les pays, les MAHAL. Il rencontre Ygal Yadin qui connaît le rôle joué par les SAS pendant la guerre. Celui-ci lui confie la direction d’une des premières unités de reconnaissance de la toute jeune armée d’Israël : le Yechida-Siour qui sera l’ancêtre du Sayeret Matkal. A la tête de ce commando, il dirige des opérations de reconnaissance sur la route de Birmanie, vers Jérusalem assiégée.
Dans le même temps, il organise la création de la première école de formation des parachutistes d’Israël à Ramat David. Il entraîne des jeunes recrues et effectue avec eux les premiers sauts. Les premiers sauts de parachutistes israéliens. En août 48, son unité devient le premier bataillon parachutiste d’Israël. En qualité d’officier des opérations, il dirige avec succès une série d’opérations commandos sur le front nord, grâce notamment au rôle de son officier de renseignement, un ancien des fusiliers marins de la France Libre, Raymond Kwort.
Après la seconde trêve, cette unité parachutiste est renforcée et devient une force de Tsahal. Joël Palgui, qui fut parachuté avec Hanna Senesh, en Hongrie, en prend le commandement, Norbert Beyrard en est le second. Au début 49, il convainc l’état-major de sa doctrine d’armée commando qui a fait ses preuves en France puis en Israël. Il obtient aussi d’Ygal Yadin que tout officier israélien reçoive une formation et un entraînement de para.
En juin 1949, il retourne en France reprendre ses études. Il obtient un master en sciences et un doctorat en économie, il dépose plus de 150 brevets et sera l’un des inventeurs du scanner médical à haute définition. Il est décédé très récemment à Divonne-les-Bains le 13 février 2017, à l’âge de 91 ans.
Les parachutistes juifs de la France Libre ont ainsi joué un rôle déterminant dans la Libération de la France mais aussi dans l’esprit de commando de l’armée d’Israël.
De Gaulle leur rendit ce si juste hommage :
« Ils regardent le ciel sans pâlir et la terre sans rougir ».
[1] Sources :
Le Mémorial de la section F, Gerry Holdsworth Special Forces Charitable Trust, 1992.
Michael R. D. Foot, Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d’Action (SOE) en France 1940-1944. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Tallandier, 2008.
[2] Sources :
Dictionnaire des fusillés et exécutés par condamnation et comme otages (1940-1944).
Revue de la France Libre, numéro spécial, Parachutistes SAS de la France Libre, juin 1953.
[3] Sources :
Martin Sugarman, Daughters of Yael, Two Jewish Heroines of the SOE.
Le Mémorial de la section F, Gerry Holdsworth Special Forces Charitable Trust, 1992.
Michael R. D. Foot, Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d’Action (SOE) en France 1940-1944. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Tallandier, 2008.
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