La période d’inflation actuelle peut être un argument de plus pour privilégier le « consommer local ». Mais quel est le potentiel de cette consommation ? Quelles évolutions des organisations et des territoires induit-elle ? À partir de données inédites de l’institut IRI, Emily Mayer, directrice des études à l’institut IRI, et Philippe Goetzmann, expert alimentation et distribution de l’agence conseil Philippe Goetzmann et président de Faire ! Mieux, répondent à ces différentes interrogations dans cette note.
Face à une consommation standardisée et largement désincarnée, face à une société de plus en plus fragmentée, les produits locaux, formidables vecteurs d’ancrage, d’identité, de confiance et de proximité, apparaissent comme une valeur refuge. La pandémie, par le resserrement sur soi qui l’a accompagnée et la relocalisation qu’elle a contribué à remettre en débat, a amplifié l’appétence préexistante des Français pour la consommation du « près »1Comme le montre le livre de Dominique Schelcher, président de Système U, Le bonheur est dans le près, Paris, L’Archipel, 2022..
Au pays de la gastronomie, sur les terres de la première puissance agricole européenne, les produits locaux présentent un formidable potentiel qui ne demande qu’à être révélé.
Au-delà des incantations, le sujet mériterait d’être saisi par l’ensemble des parties prenantes de la consommation alimentaire, des industriels aux politiques, des agriculteurs aux distributeurs. Pourtant, aussi important qu’il soit, ce thème souffre d’un manque de définition et d’analyse.
À partir des chiffres inédits de l’institut IRI, nous détaillerons le potentiel de cette consommation et les clés de sa performance, évoquerons l’évolution des organisations qu’elle induit et décrirons comment le contexte actuel est sans doute favorable à leur développement.
À quoi ressemblerait le découpage du territoire français si le seul critère pour l’établir tenait à ce que nous mettons dans nos assiettes ? Et si l’on s’affranchissait du carcan des limites administratives, des traditionnelles approches par critères socio-démographiques ou économiques et qu’on ne cherchait qu’à refléter les spécificités locales de consommation alimentaire ?
C’est ce travail inédit qu’IRI a souhaité mener : laisser parler naturellement la consommation des territoires pour capter l’origine et le lien qu’ont les Français avec les produits du terroir.
L’objectif est de créer un découpage de la France placé sous le prisme des particularités alimentaires et ainsi donner une réalité géographique à la consommation dite « locale ».
En étudiant les types de produit et les marques consommés localement, sont apparus, après une première scission du pays entre Nord et Sud, qui rappelle la France de la cuisine à l’huile et celle de la cuisine au beurre, 7 régions puis 31 bassins2Agrégats statistiques d’Iris Insee à partir d’une analyse factorielle et classification hiérarchique sur 491 marques locales et 434 segments de marchés sensibles à la consommation local (CA magasins, Infoscan IRI®). de consommation bien distincts.
La Bretagne et l’Alsace apparaissent comme des bassins très identitaires et très consistants en termes de consommation. Ils émergent dès la deuxième carte et ne se subdivisent plus ensuite. Cela signifie que les produits comme les marques consommés sont très spécifiques à ces régions et se distinguent nettement du reste du territoire. Toutefois, la Bretagne administrative se trouve amputée du Pays rennais qui, très connecté à la capitale, s’avère plus proche de la consommation du Grand Paris.
Le Nord est également un bassin ayant une puissante identité, même s’il se scinde entre Flandres et Artois dans la troisième carte. La Picardie est en revanche clairement dissociée du Nord, déjouant ainsi la notion de « Hauts-de-France ». La Savoie et le Pays basque apparaissent également comme des bassins à l’identité très forte du point de vue de la consommation. Globalement, les bassins les plus identitaires sont ceux se situant à la périphérie du territoire, qui jouissent d’un héritage culturel fort. Ces espaces résistent aux phénomènes d’homogénéisation et de standardisation de la consommation en France, charriés par la force centrifuge du pouvoir centralisateur de la capitale. Certains bassins périphériques bénéficient également de la proche influence des pays frontaliers, qui contribuent à enrichir la consommation d’une certaine forme de métissage.  
Le cas de la Normandie est intéressant, car il s’agit du seul bassin de consommation qui épouse parfaitement ses limites administratives. À l’inverse, le Limousin et l’Auvergne se trouvent rassemblés sur les pratiques alimentaires alors qu’ils sont aujourd’hui dans deux régions administratives bien distinctes.
La grande région nommée ici Centre est, quant à elle, un territoire sans grandes aspérités de consommation, avec une aire francilienne qui joue un rôle de sas entre le Grand Paris et le reste du territoire.
Enfin, la consommation alimentaire du Grand Paris est tout à fait unique, car à la croisée de multiples influences : religieuses, internationales (Italie, Asie, Grèce…), multirégionales (de nombreux Parisiens viennent d’autres régions, parfois très identitaires). Dans ce cadre, le local au sens « produits du terroir » ne recouvre qu’une très faible réalité dans ce bassin, dont la consommation se définit davantage sur une base culturelle que géographique.
Ce découpage du territoire français sous l’angle de la consommation locale n’est pas sans rappeler la carte des provinces de France de l’Ancien Régime. Une preuve, s’il en fallait une, que le temps passe, que la France se structure et se centralise, mais que les particularités de consommation demeurent puissantes.
Ces éléments d’analyse permettent d’objectiver la capacité toute relative des découpages administratifs régionaux et départementaux à traduire le terroir et ses spécificités de consommation. Ils nous enseignent également qu’il ne saurait y avoir une seule et unique appréciation du local. En réalité, il y a bien 31 approches distinctes de cette notion, à prendre comme telles.
En complément de l’analyse géographique, il est intéressant d’enrichir la réflexion du regard que portent les Français sur les produits locaux. Qu’est-ce qu’à leurs yeux un produit local ?
Leur réponse à l’enquête menée par IRI, à défaut de former une définition parfaitement objectivable, nous renseigne néanmoins sur l’imaginaire associé au local. Pour les Français, un produit local est un produit fabriqué dans leur région, artisanal et vendu en circuit court. De cette définition émerge clairement le peu de kilomètres parcourus par le produit et le lien quasi direct entre le producteur et le consommateur, source de transparence et de confiance. Ressort également un possible hiatus entre produit local et grande distribution : comment maintenir le « lien » avec le terroir et le producteur dans un environnement dominé par des marques distribuées nationalement et vendues en libre-service ? À l’évidence « l’exécution » en point de vente de l’offre locale doit être pensée pour maintenir la connexion sur le lieu de vente entre le produit et le consommateur, les produits locaux ne pouvant être traités comme les marques nationales.
Le niveau élevé d’appétence des Français pour les produits locaux est un des éléments les plus marquants de l’enquête. Un Français sur deux voudrait avoir un choix plus fourni de produits locaux dans son magasin. Cette attente n’est certes pas nouvelle, mais elle progresse encore.
Elle reflète finalement plutôt bien la richesse assez unique du terroir français évoquée plus haut. Elle nous dit aussi en creux toute la réassurance que portent en eux les produits locaux dans une période où les chocs sont puissants et nombreux (crise sanitaire, crise écologique, crise inflationniste). Le produit local rassure les consommateurs : sa provenance est connue, sa perception qualité est forte. Consommer local, c’est faire preuve de civisme en s’engageant pour son économie proche. C’est également marquer son identité, s’intégrer à une communauté, créer de la liaison.
La demande forte de produits locaux illustre aussi une forme de rejet d’une industrie agroalimentaire de masse, lointaine, perçue comme opaque.
Toutes ces raisons font du local la promesse la plus universelle du « bien consommer ». Quand l’attente de produits bio est plus forte chez les seniors et les plus aisés, les produits « sans » chez les femmes, le « vrac » chez les ruraux, le local, lui, transcende toutes les catégories de consommateurs. Quels que soient le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle ou l’endroit où l’on vit, l’attente d’une proposition locale plus étoffée est élevée.  
Se dessine à travers ces éléments un potentiel extrêmement intéressant pour les acteurs de la consommation : puisqu’ils parlent à tous, les produits locaux offrent une large cible de consommateurs.
Un potentiel, sans aucun doute, mais certainement pas une réalité à ce jour. En effet, bien que notre pays regorge de spécificités territoriales (31 bassins de consommation différents ont été identifiés) et que les Français démontrent une forte appétence pour les produits locaux, leur poids dans la consommation est encore très faible.
Les marques locales3Marque locale : marque qui réalise plus de 50% de son chiffre d’affaires dans une seule région (22 anciennes régions Insee). Ces 22 régions métropolitaines sont créées par décret n° 70-18 du 9 janvier 1970. Le 1er janvier 2016, elles sont réduites à 13 par regroupement de plusieurs d’entre elles. réalisent à peine plus de 2% du chiffre d’affaires des produits de grande consommation4Produits de grande consommation : produits à poids fixe vendus en grandes surfaces. Source IRI.. La disparité est très grande en fonction des familles de produits : de 1,3% sur les produits surgelés à 5,1% sur les bières et cidres. L’écart est également important entre les circuits de distribution (marques locales faibles en discount et drive) et entre les enseignes. Mais c’est au sein du territoire que la divergence est la plus forte, comme l’illustre la carte ci-dessous : le poids des marques locales allant de 0,8% dans l’Oise à 8,3% dans le Bas-Rhin.
Certes, les ventes de marques locales sont actuellement chahutées comme l’ensemble de la consommation. Leur positionnement prix au-dessus du marché, parfois très significativement, contraint probablement une part des Français à mettre leur consommation sur pause à l’heure où l’inflation dépasse les 12% sur les produits alimentaires.
Mais il est certain qu’une fois la contrainte financière relâchée (car l’inflation va bien finir par se tasser), les produits locaux feront leur retour dans les caddies tant ils « cochent » de cases auprès des consommateurs.
À travers les éléments partagés jusqu’ici, il apparaît clairement que le terrain est tout à fait favorable à une expression plus forte de la consommation locale en France. Comment déployer ce potentiel ?
Alsace, Bretagne, Pays basque : ce trio de tête des territoires où les marques locales pèsent le plus lourd dans la consommation montre, bien sûr, le rôle majeur de l’identité régionale. Pour autant, d’autres terroirs (la Provence, par exemple) qui ne manquent ni de tradition gastronomique ni de particularismes régionaux se montrent moins performants.
Un héritage identitaire ne fait pas, seul, sa puissance. Encore faut-il que ces entités régionales activent le sentiment local. Et c’est là qu’apparaît la première clé de la performance des marques locales : la capacité à fédérer un écosystème et à se doter d’outils puissants. La Région Alsace a été absorbée dans le Grand Est, mais s’est rapidement muée en Collectivité européenne d’Alsace et a conservé sa Marque Alsace. La marque collective Produits en Bretagne, dont l’excellence d’animation est indéniable, est un exemple à suivre par tous.
Même si de nombreuses régions développent leurs marques, force est de constater que les moyens investis ou le niveau de maturité n’atteignent pas ceux des régions nommées précédemment.
La carte présentée plus haut montre bien combien le local relève d’un sentiment d’appartenance bien plus que des décisions administratives.
Il est à ce titre intéressant d’observer les résultats mitigés des régions créées par la loi : Provence-Alpes-Côte d’Azur ou Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, n’existent pas à l’aune des produits locaux. Tous les porteurs de l’identité et de l’agroalimentaire, chambres consulaires, associations, agences de développement, se sont pourtant alignés sur ces périmètres administratifs qui ne traduisent pas la géographie du terroir et des consommateurs. Quand on voit la résilience des provinces d’Ancien Régime, il est probable que les régions récemment créées aient de grandes difficultés à développer une identité alimentaire. Peut-être leur faudra-t-il animer les multiples identités qui s’y retrouvent.
Une deuxième clé de la performance des produits locaux se situe du côté de la couverture de besoin. Dans un département, plus les marques locales vont couvrir un nombre important de segments de marché, plus leur couverture de besoin sera élevée et plus elles pèseront lourd dans la consommation du territoire, comme le démontre le graphique ci-dessous.
Ainsi, dans le Bas-Rhin, département champion sur le local, un consommateur va trouver dans son magasin une proposition de marque locale sur plus d’une catégorie de produits sur deux. À l’inverse, dans l’Oise, c’est seulement sur une catégorie de produits sur cinq qu’il pourra opter pour un produit local.
La densité de la couverture de besoin ne dépend pas uniquement des capacités agricoles du territoire. N’oublions pas qu’un produit local est pour les consommateurs un produit « fabriqué » dans sa région. La couverture de besoin peut être ainsi densifiée par l’aptitude du territoire à transformer localement des matières premières agricoles. Nous consommons beaucoup de produits transformés. La clé du local se situe certes dans l’agriculture, mais encore plus dans l’industrie.
Aujourd’hui, de nombreux bassins de consommation présentent de fortes spécificités de consommation, mais ne disposent que de peu de marques locales pour les couvrir. Le Poitou est par exemple le 4e bassin sur 31 en termes de nombre de segments de marchés surconsommés, mais seulement le 15e en termes de nombre de marques locales. C’est aussi le cas de la Champagne, de la Corse, du Maine, de la Lorraine, du Languedoc et de la Picardie.
La taille des entreprises constitue la troisième clé de la performance des produits locaux. Pour poursuivre sur le volet industriel, l’observateur du monde agroalimentaire constatera que les régions performantes déjà citées hébergent des marques puissantes, voire dominantes à l’échelle régionale. Constat similaire que l’on pourra faire en Italie ou en Allemagne, pays de grosses PME et d’ETI.
Au fil du temps, la France s’est dotée d’un tissu agroalimentaire fait de très grandes entreprises, qui ont porté la standardisation de la consommation, et de très nombreuses TPE qui ne pèsent pas sur le marché, y compris localement.
Le magazine Réussir montrait cet été5 « Que représente l’agroalimentaire dans l’économie française ? », Réussir, 14 août 2022. que la Bretagne avait 1 187 établissements industriels agroalimentaires représentant près de 50 000 emplois en équivalent temps plein, soit 42 ETP/usine. À l’autre extrême, la région PACA en avait 1 687 pour moins de 10 000, soit 5,6 ETP/usine. Trop de très petits ne fait pas un marché. Il faut avoir des industries assez puissantes pour peser sur le marché, développer des catégories et promouvoir les ventes.
Les institutions locales, les élus, bien sûr, les banques aussi, les chambres consulaires devraient mener des stratégies de massification locale pour créer des champions régionaux, porteurs de l’identité et capables d’écraser les coûts.
Entre la taille des entreprises et la couverture de besoins, apparaît assez nettement combien le développement de la consommation locale est un levier de réindustrialisation et donc de création d’emplois.
Si la demande de local est universelle, elle ne s’exprime pas avec la même intensité, ni sur les mêmes catégories de produits selon les territoires. Le principe du développement d’une offre locale peut être une décision centrale, mais sa mise en œuvre ne peut être pilotée que sur le terrain. Ainsi, elle impose de facto la décentralisation, y compris concernant les produits de diffusion nationale.
La relation démontrée plus haut entre performance et couverture de besoins ouvre à elle seule la voie de la décentralisation pour les acteurs de la filière. Sur un répertoire de consommation qui compte 1 200 types de produits, un tiers est consommé de façon très variable suivant les régions. Or, le consommateur ne regarde pas une offre de façon distincte, le local, d’une part, le national, de l’autre. Il s’agit de construire une gamme globalement équilibrée, dont la part locale varie zone par zone, catégorie par catégorie. Cela impose une localisation de l’analyse catégorielle.
Dès qu’il est question de décentraliser, le réflexe des organisations est de créer d’autres étages « déconcentrés ». Le pays est découpé en « régions », en bases logistiques, qui regroupent un nombre relativement homogène de magasins et sont dotées d’un effectif. Or, il est impossible de calquer une organisation standardisée sur la carte des territoires de consommation. C’est donc le principe de subsidiarité qui doit guider la réflexion.
Le développement du local, attendu par les consommateurs, induit une révision des organisations managériales et opérationnelles des groupes, la mise en place d’une délégation plus grande de la décision et de l’action.
Il s’agit, par exemple, de simplifier le référencement en dotant les magasins de la capacité à contracter localement en parfaite sécurité juridique. Il sera ici pertinent que les enseignes adoptent des protocoles identiques, au bénéfice de tous les acteurs.
Le commerce est directement touché par la fragmentation de la société et la difficulté à faire vivre encore un « tous sous le même toit ». Chaque magasin étant différent, il faut plus que jamais travailler à une stratégie commerciale de site. Outre que les spécificités locales vont être de plus en plus marquées, les outils pour exprimer l’offre et les aspérités du magasin via le digital vont être de plus en plus pointus. Une centrale d’achat très normative et aliénante avait au moins l’avantage de sécuriser une décision moyenne, mais relativement efficace. La décentralisation est une formidable opportunité, c’est aussi un risque pour qui l’aura mal préparée.
Comme les distributeurs, les grands industriels de l’agroalimentaire sont confrontés à ce mouvement. Depuis cinquante ans, le développement de la grande classe moyenne les a amenés à adopter des stratégies de massification et de standardisation. Ils ont ainsi souvent absorbé les capacités de production et les produits de marques locales. Comme celui des enseignes qui ont connu le même mouvement, le cimetière des marques est rempli de marques locales qui se sont développées en perdant leur ancrage. Citons simplement les yaourts Chambourcy, désormais sous marque Nestlé, les biscuits L’Alsacienne, désormais Lu, propriété de Mondelez, ou la bière Adelshoffen, absorbée par Heineken.
Le marché de la brasserie est emblématique du mouvement. Des années 1960 à l’an 2000, les grands brasseurs mondiaux ont absorbé la quasi-totalité des brasseurs locaux et concentré la production sur quelques marques internationales. Vingt ans plus tard, l’explosion des micro-brasseries les a amenés à inverser leur stratégie et, à côté des marques mondiales, à distribuer une grande variété de petites marques, de niche ou locales.
Lactalis ou Savencia se sont construits à partir d’une maille locale et disposent d’un grand nombre de marques et d’établissements implantés dans les régions. Lactalis opère sur 70 sites industriels en France, notamment grâce à son activité sur les fromages AOP. Certes, ces groupes ne limitent pas leur ambition au local, mais le maintien de leurs implantations leur permet d’aborder aussi ce marché et de conserver un capital d’incarnation.
On pourra enfin évoquer une nouvelle piste qui consiste à construire un groupe industriel à partir de marques locales leaders en transcendant les régions. C’est l’exemple du Groupe Aster qui allie dans les pâtes le Savoyard Alpina Savoie et l’Alsacien Grand-Mère, faisant émerger un leader du local sur plusieurs régions.
Les consommateurs font un lien assez intuitif entre plus d’écologie et plus de local. Chacun imagine qu’acheter local est vertueux. Ce qui apparaît moins est l’évolution de facteurs indirectement en lien avec la consommation et qui plaident pour un poids plus élevé de produits locaux à l’avenir.
Observer la consommation locale suppose de se pencher sur la carte de la population française. Elle connaît des mouvements très puissants. En quinze ans, les écarts de croissance démographique entre les zones peuvent atteindre 30 points ! S’ajoute à cela le mouvement plus récent du télétravail et apparaît ainsi une déformation rapide de la consommation hexagonale.
Or, ce sont majoritairement des régions à faible performance locale qui perdent de la population au profit de régions où la dynamique est forte ou à fort potentiel. Ajoutons que les migrations vers l’Ouest et le Sud sont notamment le fait de familles de plus de cinquante ans, à fort pouvoir d’achat, qui seront peu freinées par des prix plus élevés. Dans le même esprit, les cœurs de métropoles, moins consommateurs de local, perdent du poids dans la consommation au profit des villes moyennes et des grandes périphéries.
Sans que l’on puisse affirmer un rapport de causalité, il semble que la recherche d’un cadre de vie et de travail moins stressant, d’une plus grande harmonie avec son environnement converge avec une plus grande consommation de produits locaux. En tout cas, la population se développe là où les produits locaux sont plus forts. Ce mouvement étant une tendance de long terme, il est assez probable qu’il soutienne leur développement.
Il est très probable que l’énergie soit, à l’avenir, durablement plus chère que ce que nous avons connu sur le dernier demi-siècle. Cela va toucher tous les maillons de la chaîne alimentaire où qu’ils soient car, in fine, nous mangeons de l’énergie : celle des engrais, des tracteurs, des camions, des usines, des chambres froides, etc.
Dans cette optique, la part du transport va se renforcer lourdement dans la valeur, amenant acteurs économiques et consommateurs à adopter des pratiques qui en minorent l’effet. Le tissu agro-industriel s’est structuré au niveau national, dans une logique de massification et de standardisation, notamment grâce à un transport peu cher. Entre une consommation plus segmentée et un coût logistique qui va croissant, de très grands industriels envisagent déjà un redéploiement de leur production sur le territoire, via des unités plus petites et plus nombreuses.
Les marques locales étaient pénalisées par des coûts industriels élevés et un faible potentiel de massification, bien qu’elles puissent être performantes à l’échelle d’un territoire, comme l’Alsace et la Bretagne le démontrent. La hausse de la part du transport dans la valeur devrait corrélativement réduire leur désavantage compétitif.
Pendant cinquante ans, le catalogue papier a structuré la promotion des ventes des distributeurs et des marques. Année après année, par l’inflation des coûts d’impression et de distribution et par l’encadrement législatif qui a renforcé le poids des « contreparties » dans la négociation, le catalogue est devenu un outil largement piloté par les centrales d’achat, accessible quasi exclusivement aux grandes marques, seules capables de les payer et qui ont un intérêt à leur diffusion nationale.
Ainsi, les marques locales, qui étaient animées à l’époque où les catalogues étaient produits localement, sont désormais réduites à la portion congrue. IRI a mesuré 0,6% de part de voix6La part de voix est la part de la communication publicitaire. En l’occurrence, 0,6% des produits communiqués dans les tracts de la grande distribution sont qualifiés de locaux, suivant la nomenclature d’IRI. catalogue pour elles, soit le quart de leur part de marché. Nous pouvons donc constater que ces marques tiennent et se développent malgré un sous-investissement promotionnel flagrant !
Aujourd’hui, l’évolution des coûts, des techniques digitales ainsi que la législation laissent entrevoir la fin du catalogue papier national, uniforme, et conséquemment le redéploiement des budgets publicitaires sur des outils plus agiles, accessibles aux marques locales. Ainsi, les produits locaux, dont le potentiel de croissance était déjà patent au travers de la comparaison entre régions et l’appétence des consommateurs, vont pouvoir accéder à la panoplie des nouveaux médias, notamment digitaux.
Après des décennies de centralisation et de normalisation, la forte demande de local, traitée ici sous l’angle de la consommation alimentaire, apparaît comme un contre-signal d’une société qui attend des adaptations à ses multiples réalités. 
Cette fragmentation des attentes sociétales, mais également la digitalisation et la transition écologique, tout plaide aujourd’hui pour une consommation plus locale.
Si le potentiel est important, il est aussi très variable suivant les territoires, et ceci est relativement indépendant du niveau actuel de performance.
La réalisation de ce potentiel nécessitera de poser des objectifs très différents, territoire par territoire, et surtout de mettre en œuvre des moyens adaptés à chaque situation. Au-delà de la décentralisation qu’elle impose, elle appelle la franche collaboration des acteurs, agricoles, industriels, distributeurs et restaurateurs (que cette note n’évoque pas en l’absence de données comparables), politiques, au service de chaque territoire, suivant la compréhension qu’en ont les citoyens consommateurs. Celle-ci n’est que marginalement cohérente avec les découpages organisationnels ou administratifs. Le développement de ce marché, attendu par tous, demande donc un véritable effort d’adaptation au terrain.
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