Après avoir été éliminée par le Brésil en huitième de finale (4-1), la Corée du Sud rentre à la maison sous les louanges des supporters et non pas sous les jets d’œufs comme en 2018. Un résultat obtenu à la surprise générale qui n’est pas sans rappeler le parcours extraordinaire d’il y a vingt ans.
Lors du tirage, la Corée du Sud s’attendait à jouer une place d’honneur dans un groupe composé du Portugal, de l’Uruguay et du Ghana. Paulo Bento se préparait déjà à un combat pour, pourquoi pas, espérer sortir du groupe : « Nous sommes contents d’être à la Coupe du Monde. Nous jouons contre trois bonnes équipes, deux en particulier qui sont le Portugal et l’Uruguay. Ce sont des équipes prétendantes au titre. Mais l’important est de savoir comment nous préparer, dans les meilleures conditions possibles et dans tous les aspects : physique, mental, technique. Il faut également recueillir le plus d’informations possible sur nos adversaires. Nous devons rivaliser avec eux à chaque instant du jeu. Et nous verrons ce qui se passera après trois matchs ». Comme l’idée qu’un plan était en préparation. En 2018, Shin Tae-yong tenait le même discours, mais n’avait pas joint les actes à la parole. Le sélectionneur portugais a tenu parole. Même si avant de la première rencontre, Paulo Bento se voulait plus serein en se déchargeant de toute pression : « Je ne vois aucune raison pour qu’ils aient une pression sur leurs épaules. S’il s’agissait d’une équipe qui se qualifiait toujours pour le tour suivant, alors je dirais oui… ». Comprenez là que l’équipe peut jouer libérer et se faire plaisir puisque quoi qu’il arrive l’objectif principal était de venir au Qatar.
En alignant un XI avec pour seule surprise la présence de Na Sang-ho sur le flanc gauche de l’attaque en l’absence de Hwang Hee-chan blessé, Paulo Bento faisait dans le classique sur le papier, mais dans l’inhabituel sur le terrain. Les Guerriers Taeguk, habitués à jouer bas, montaient d’un cran et agressaient les Uruguayens. Un jeu très dangereux, mais efficace puisque le milieu de terrain de la Celeste n’arrivait pas à sortir les ballons, inlassablement récupérés par le trio Lee Jae-sung – Hwang In-beom – Jung Woo-young. Peu mise en danger grâce à cette tactique osée, la Corée du Sud bafouillait néanmoins son jeu offensif comme souvent depuis quatre ans avec un Hwang Ui-jo toujours autant maladroit devant le but et avec un Son Heung-min qui ne quittait pas sa cape de super-héros, habit le faisant déjouer plus qu’autre chose. Mais les maux sud-coréens n’étaient pas tous restés aux vestiaires, surtout sur coup de pied arrêté où la défense restait toujours hasardeuse laissant Diego Godín toucher le montant de Kim Seung-gyu. Épuisés physiquement et à court d’énergie avec un Kim Min-jae blessé au mollet, les Guerriers Taeguk ont baissé d’intensité, reculé progressivement laissant l’Uruguay revenir dans le match et toucher à nouveau le montant de Kim Seung-gyu par une vieille connaissance, Frederico Valverde. Mais les joueurs ont serré les dents et arrachés un match nul inespéré. Un résultat salué par tout un pays et les vingt-six mille supporters réunis sur la place Gwanghwamun. Avec un point et le Ghana qui se profilait, la Corée du Sud était très bien positionnée pour se qualifier.
hhcPhoto; Alex Grimm/Getty Images
Mais face au Ghana, Paulo Bento a surpris son monde en modifiant son onze de départ. Hwang Ui-jo, en deçà lors de la confrontation face à l’Uruguay, prenait place sur le banc remplacé par Cho Gue-sung tandis que Lee Jae-sung et Na Sang-ho quittaient la formation de départ, remplacés par Jeong Woo-yeong et Kwon Chang-hoon. Si les hommes changaient, la tactique restait la même avec cette volonté de jouer haut et de mettre un maximum de pression sur la défense adverse. Sauf que la défense sud-coréenne était mise en défaut trop facilement. Une première fois sur coup de pied arrêté, encore et toujours, tandis que sur le second but ghanéen, le marquage était hasardeux. À la pause, tous les espoirs semblaient éteints, mais Paulo Bento faisait entrer deux joueurs qui permettaient à la Corée du Sud de revenir à hauteur : Na Sang-ho apportait plus de percussion, Lee Kang-in apportait plus de maîtrise et c’est sur l’un de ses premiers ballons qu’il servait Cho Gue-sung pour réduire l’écart de la tête. Dans la foulée, Kim Jin-su trouvait également la tête de son avant-centre pour égaliser. Revenus à hauteur, les Sud-Coréens étaient revigorés et semblaient bien partis pour renverser la situation, mais de nouveau, la défense était au ralenti et se laissait surprendre, toujours sur le côté gauche de Kim Jin-su. Menés, les Guerriers Taeguk faisaient le siège du but des Black Stars, mais ne parvenaient pas à revenir à hauteur et s’inclinaient dans le match qu’il ne fallait pas perdre. Paulo Bento sortait de ses gonds, parcourait la moitié du terrain pour aller hurler sur l’arbitre, coupable selon lui d’avoir mis fin à la rencontre beaucoup trop tôt. La sanction était sans appel : le sélectionneur portugais est exclu et suspendu pour le match face au Portugal.
Paulo Bento se privait ainsi d’un beau moment d’histoire. En 2002, la Corée du Sud avait affronté le Portugal pour son troisième match de groupe et la victoire obtenue (1-0) avait éliminé le Portugal tout en qualifiant les Sud-Coréens. Dans cette équipe portugaise se trouvait un certain Paulo Bento… Vingt ans plus tard, le Portugal était déjà assuré de se qualifier pour les huitièmes alors que les Guerriers Taeguk avaient besoin d’une victoire et d’un résultat favorable entre Uruguayens et Ghanéens. Si peu y croyaient en Corée du Sud, les joueurs ne cachaient pas leurs espoirs et leur conviction de réaliser un miracle. Pour cette rencontre, Lee Kang-in faisait son apparition dans le onze de départ alors que Lee Jae-sung retrouvait sa place. Paulo Bento optait ainsi pour un système à deux meneurs de jeu mais devait également faire sans son défenseur star, Kim Min-jae, qui a aggravé son pépin au mollet contre le Ghana. Face à un Portugal remanié, la Corée du Sud entamait très mal sa rencontre et Kim Jin-su confirmait de nouveau que l’aspect défensif de son poste n’était pas sa tasse de thé. Le Portugal prenait les devants et éteignait tout un pays. Mais c’est alors qu’un relent de 2018 se faisait sentir dans les rangs sud-coréens. Comme à Kazan face à l’Allemagne, Kim Young-gwon marquait sur corner et permettait à la Corée du Sud de revenir à hauteur. Comme en 2018, Son Heung-min se montrait décisif. Cette fois-ci, en servant le revenant, Hwang Hee-chan, qui remportait son duel face à Dio Costa (2-1). Le miracle d’Al-Ryyan. L’explosion de joie des Sud-Coréens était néanmoins de courte durée puisque dans l’autre match, l’Uruguay menait deux buts à zéro face aux Ghanéens. Il reste dix minutes à jouer. Les joueurs se réunissaient en cercle au milieu du terrain et attendent, regardaient l’évolution du match sur un téléphone. À plus de deux heures du matin en Corée du Sud, la place Gwanghwamun retenait son souffle. Un frisson parcourait les rangs lorsqu’Edison Cavani était accroché dans la surface. L’arbitre ne bronchait pas. L’Uruguay ne parvenait pas à inscrire ce troisième but qualificatif. L’explosion de joie à Al-Ryyan et à Seoul était alors plus intense que précédemment. Les joueurs fondaient en larmes, Paulo Bento était en furie dans les tribunes, les supporters exultaient : la Corée du Sud se qualifiait pour les huitièmes de finale.
coreePhoto: JACK GUEZ/AFP via Getty Images
Son Heung-min en profitait alors pour avouer qu’en interne, tous les joueurs et le staff s’étaient fixé comme objectif d’atteindre les huitièmes de finale. Le capitaine de la sélection en profitait également pour saluer la performance de ses coéquipiers qui ont su prendre son relais, lui qui a réalisé une prestation plus que moyenne. Mais désormais, tous les regards étaient tournés vers le prochain match avec un défi immense : affronter le Brésil. Une rencontre que Paulo Bento abordait avec la même tactique que les matchs précédents. Il aurait pu décider d’aborder le match avec la peur ou l’envie de pousser la Seleção aux tirs au but. Mais encore une fois, d’entrée de jeu, la défense de Kim Jin-su était hasardeuse et le Brésil prenait l’avantage. Dans la foulée, Jung Woo-young effleurait Richarlison dans la surface pour un pénalty qui permettait au Brésil de faire le break. Les Guerriers Taeguk jouaient haut, trop haut et, à la différence de l’Uruguay, le Brésil parvenait à ressortir les ballons, ce qui permettait d’éliminer la moitié de l’équipe en deux passes. Menée de deux buts, la Corée du Sud insistait et terminait la première période avec quatre buts dans les bagages, mais avec une prestation offensive intéressante. Le Brésil gérait alors tranquillement sa deuxième période et le magnifique but de Paik Seung-ho n’était qu’anecdotique. La Corée du Sud quittait le Mondial la tête haute, après une lourde défaite certes, mais en ayant voulu jouer et conserver le plan de jeu imaginé spécialement pour la compétition.
Après le match, Paulo Bento annonçait son départ de la sélection. Une décision prise en septembre et annoncée à la fédération. Les motivations du Portugais restent floues, l’homme ne souhaitant pas s’étendre sur le sujet. De retour sous les applaudissements à l’aéroport d’Incheon, Paulo Bento a tenu à remercier ses joueurs qui ont accepté son plan et cru en lui en quatre ans. Tous les joueurs sans exception le remercient en retour. Une fin de mandat qui se termine de la meilleure des manières.
Cette fin en apothéose du mandat de Paulo Bento, le plus long dans l’histoire de la Corée du Sud, ne doit pas pour autant faire oublier les quatre années passées. Il y a du bon et du moins bon avec le sélectionneur portugais. Côté positif, il a voulu réformer le football sud-coréen en profondeur en mettant son nez au sein de toutes les sélections afin que toutes jouent de la même façon, avec la même approche. Une bonne idée, mais un travail qui devra perdurer pour porter ses fruits tout en s’accompagnant d’hommes au regard nouveau sur le football. Paulo Bento a également eu comme point positif de permettre à certains joueurs de rejoindre l’Europe, et d’encourager les joueurs à quitter l’Asie pour s’aguerrir sur le Vieux Continent (Hwang Ui-jo, Kim Min-jae, Hwang In-beom, Jeong Woo-young, Lee Dong-jun, Lee Dong-gyeong). Et comment ne pas oublier cette Coupe du Monde ?
bentoPhoto : Alex Grimm/Getty Images
Mais Paulo Bento c’est aussi du négatif. Une approche du football contre nature pour nombreux Sud-Coréens avec cette constante volonté de construire, de prendre son temps pour se créer des occasions. Un système qui a montré de nombreuses limites face à des blocs défensifs très bas et qui n’a absolument pas fonctionné face à des équipes plus fortes. Le visage affiché au mondial aurait pu, et dû, être celui des années précédentes. C’est également des choix de joueurs surprenants et des gestions d’hommes que nombreux supporters n’ont pas compris et que le sélectionneur n’a jamais expliqués clairement préférant botter en touche créant ainsi un climat de tensions entre lui, les journalistes et les fans. Paulo Bento c’est aussi une Coupe d’Asie manquée en 2019. Une histoire mouvementée finalement qui se termine bien et qui permet de réconcilier Paulo Bento avec la Corée du Sud.
Désormais, la Korea Football Association doit se pencher sur l’avenir de la sélection. Elle a pour mission de poursuivre le travail en profondeur amorcé par Paulo Bento tout en passant à l’étape supérieure en modernisant le jeu de son équipe. Le choix du sélectionneur s’annonce tout aussi crucial qu’indécis. Kim Hak-bum, l’homme du cycle olympique 2020 ? Choi Yong-soo, l’entraîneur à succès du début des années 2010 ? Park Hang-seo qui a fait du bon travail avec le Vietnam et qui a récemment quitté son poste ? Choi Kang-hee, l’homme de Jeonbuk au passage tumultueux entre 2010 et 2013 qui est libre de tout contrat ? Des noms qui circulent, mais qui n’enchantent pas forcément les observateurs qui ont peur de voir les Guerriers Taeguk ne pas surfer sur ce Mondial.
 
 
Photo une : Francois Nel/Getty Images

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