Accueil >> Tribunes >> Comment construire sa veille en formation ? Par Stéphane Diebold
La formation est un monde en mouvement. Comment ne pas rater la prochaine révolution ? Mieux comment anticiper les nouvelles tendances qui transformeront les signaux faibles en changements structurels ? La solution est la veille. Il devient impératif de faire de la veille en formation. Mais de quelle veille s’agit-il ? La veille juridique ? La veille sociétale ? La veille technologique ? La veille pédagogique ? La veille neuroscientifique ? La veille ergonomique ? La veille marketing ? La veille prospective ?
Si tout le monde semble d’accord sur le principe de faire de la veille, encore faut-il définir ce dont on parle et surtout proposer des modes opératoires pour avoir la bonne veille au bon moment. Comment faut-il organiser sa veille en formation ?
L’infobésité a été théorisée dans les années 60 par l’économiste Bertram Myron Gross, mais c’est le prospectiviste américain, Alvin Toffler qui vulgarise le concept dans son livre “Le choc du futur” (1970). Les chiffres donnent le vertige des données : dans le monde, 2,5 quintillions d’octets de donnés sont produites par jour, 1030, 306 milliards de mails envoyés par jour, 600 millions de blogs, 2,2 millions de livres publiés par an, 600 000 d’heures de vidéos mises en ligne chaque jour sur YouTube… Il y a tellement d’informations qu’il n’est plus possible de s’y retrouver sans s’organiser, la veille devient une obligation opérationnelle qui est d’autant plus importante que le taux d’obsolescence de l’information ne cesse de s’accroître. L’information devient éphémère.
Le philosophe allemand Hermann Ebbinghaus en 1885 avait théorisé l’impact sur la formation avec la fameuse courbe d’Hermann Ebbinghaus ou la courbe de l’oubli, après 2 jours, on perd généralement 50 % de l’information entendu, d’où le besoin de répétition pour favoriser la consolidation mémorielle. On peut noter que cette loi a été conçue en au 19ème siècle. Selon les enquêtes publicitaires, un homme est sollicité par plus de 1 200 messages publicitaires par jour contre 200 dans les années 80, le problème de la mémorisation est d’abord un problème d’attention et la nécessité de répéter encore et encore pour assurer une mémorisation. Nous sommes tellement sollicités par tout et par tous que nous sommes sujets à un burn out attentionnel. Il est nécessaire de donner une attractivité à l’information pour assurer sa transmission et surtout son acquisition. La veille doit suivre les buzz pour ne pas être dépassée.
L’information, comme la formation, sont des constructions sociales. Dans le brouhaha informationnel, l’important est ce que la société nous dit de retenir, c’est le paradigme dominant de Thomas Khun (1962). Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la société construit des stéréotypes pour nous aider à trier l’information. La difficulté aujourd’hui est que la société est disruptive, elle passe de l’ancien monde à un nouveau monde, le 20ème siècle laisse place au suivant. Mais le nouveau monde n’est pas encore là pour construire ses routines. Il est en période de transition, il s’agit de garder le paradigme du 20ème siècle et de construire un nouveau référentiel que l’on ne connaît pas encore, double travail. La veille n’est pas que prospective, elle est aussi historique. Qu’est-ce qui dans notre histoire est encore d’actualité ?
Traditionnellement, on peut retenir trois étapes pour construire une politique de veille. La première est la définition d’un périmètre de veille. Le problème du périmètre est de choisir ce que l’on ne va pas surveiller, faire un choix que l’on trouve stratégique. Pour un responsable de formation, s’agit-il d’une veille juridique, d’une veille pédagogique, d’une veille dans les neurosciences, d’une veille technologique, d’une veille ergonomique, d’une veille sociologique, d’une veille marketing… De quel type de veille parle-t-on ? Et si l’on choisit de ne pas choisir en surveillant tout, se pose alors le problème du temps que cela prend. Il est nécessaire de donner du sens à sa veille. A quoi va me servir ma veille ? Quel est mon retour sur investissement ? Si par exemple la veille porte sur l’EdTech avec la myriade d’innovations majeures et mineures et que l’objectif est d’alimenter une communauté apprenante qui se réunit tous les mois, 4 ou 5 apports sont nécessaires, soit une cinquantaine par an. L’objectif est alors quantifiable.
La deuxième étape est l’identification des sources d’information. La veille est relationnelle, il ne s’agit pas tant d’avoir une information à un moment donné que d’avoir un lieu que l’on a identifié pour s’alimenter régulièrement. Tout est offert, mais là encore le choix doit s’opérer pour éviter l’infobésité. Il y a tant de blogs, de chaînes YouTube, de podcasts, de communautés. Si l’on choisit le podcasting, une émission dure souvent entre trente minutes et une heure par semaine, si l’on suit une dizaine de podcasts, même en multitâches, cela prend du temps, et c’est sans parler des autres supports. Choisir un influenceur que l’on suit est, dans le temps, un gain énorme.
Dernière étape dans le processus, la capitalisation de sa veille. Un des écueils de la veille est de tout entasser sans sens, le dernier post poussant le précédant. C’est ce que l’on appelle la taxonomie de la veille. Comment structurer ce que l’on a découvert ? On revient sur la première étape. Quelle est ma stratégie de veille ? S’il s’agit de construire une newsletter hebdomadaire avec 3 ou 5 informations en snack content, il s’agit de trouver des idées autour d’une ligne éditoriale, d’organiser sa connaissance. Il existe de nombreux outils, pour ma part, j’utilise Trello, qui n’est pas un outil de curation, mais j’aime bien son ergonomie. Cette organisation permet de construire sa pensée et même parfois de se surprendre soi-même : on ne se rappelait plus que l’on avait cette information.
La veille souffre de consanguinité. C’est le phénomène des filtres de bulle. Des personnes qui se ressemblent, qui parlent toujours des mêmes sujets de la même façon, une consanguinité professionnelle qui s’auto-rassure. C’est la raison pour laquelle souvent la veille ne voit rien. Il s’agit de répéter les informations de pair à pair. Il ne s’agit pas de rejeter cette fonction essentielle, de construction de son identité professionnelle, identique aux autres, mais de la compléter par un devoir d’exploration hors de sa zone de confort professionnel. Les rebelles de la formation sont indispensables pour explorer les signaux faibles de notre métier. Ces ouvreurs de voies, les premiers de cordée, sont des explorateurs pas des constructeurs. Et dans un monde qui se disrupte, les explorateurs sont indispensables pour un travail de veille efficace.
La veille est souvent considérée comme un outil individuel. C’est se priver de la dynamique et de l’efficacité de la veille collective. Il existe des outils comme Scoop.it ou Pearltrees qui permettent non seulement d’organiser sa veille mais aussi de choisir les personnes que l’on suit et de ainsi de leur veille. Ce sont des outils d’intelligence collective ou de « foule intelligente ». Et le fait d’ouvrir sa veille présente un avantage surprenant, le sentiment que ce que l’on présente est regarder en retour est une faction de motivation et de stimulation. Cela devient un moteur de notre apprentissage, comme quoi l’altérité et le don peuvent être bon pour tous aussi bien que pour soi. Reste à éviter les filtres de bulle en choisissant des influenceurs classiques et des influenceurs marginaux voire iconoclastes.
Enfin, la veille devient un outil majeur de Professional branding. Un collaborateur est professionnel parce qu’il donne des signaux, des marqueurs sociaux de son expertise. Si le diplôme reste majeur en France, la présence numérique de chacun est plus importante, car c’est un outil de référencement par les moteurs de recherche qui favorisent, ou non, une employabilité. C’est une façon de savoir quels sont vos domaines d’actualité professionnelle. Les réseaux sociaux du type LinkedIn l’ont bien compris avec la possibilité de construire ses propres, l’envoie de newsletter… Chaque collaborateur devient créateur de sa propre valeur professionnelle. La veille est souvent l’outil qui compose le contenu de cette image, soit avec la présentation de la veille des autres, soit en créant sa propre veille. Il s’agit de montrer les orientations qui sont les nôtres. Cette veille peut faire communauté avec l’enrichissement du regard des autres autour de sa propre trajectoire personnelle. Le veilleur devient storymaker.
La veille est souvent associée à l’actualité. Certains critiquent le bougisme de cette posture, toujours bouger sur la nouveauté, c’est passer à côté de l’essentiel. Cette opposition est factice, une bonne veille doit avoir une stratégie profonde. René Char, disait « le fruit est aveugle, c’est l’arbre qui voit ». Si l’écume est importante pour saisir la rapidité des mouvements, il y a besoin de se poser pour construire la radicalité, la racine, de notre veille pour choisir les paradigmes qui sous-tendent la démarche de veille. La force de la fluidité de la veille est qu’elle est bien ancrée sur des concepts forts. Ce peut être le rôle de l’entreprise que d’organiser ses points d’ancrage partagés qui reprennent les fondamentaux des métiers et de l’entreprise. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’on voit fleurir les Universités d’entreprise dont la vocation est bien de revenir aux fondamentaux pour construire l’avenir.
Stéphane Diebold a mis son expérience au service de l’innovation pédagogique et de la performance en entreprise, au sein de TEMNA dont il est le fondateur depuis 2003. Associatif, il a assumé des responsabilités dans une dizaine d’association, essentiellement formatives, aujourd’hui Président fondateur de l’AFFEN (Association Française pour la Formation en Entreprise et les usages Numériques).
 
 
23 nov.2022
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