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La plupart des plateformes numériques dont Twitter et Facebook ont décidé de suspendre Donald Trump. Est-ce légal ? Est-ce une bonne idée ? Et surtout, quelles seront les conséquences de ces décisions sur le débat public ?
Durant l’intégralité – ou presque – de son mandat présidentiel, Donald Trump se sera  appuyé sur les réseaux sociaux pour communiquer auprès des publics. Ces plateformes auront souvent été embarrassées par ses propos. Mais elles auront, jusqu’à très récemment, estimé que la liberté d’expression du premier responsable politique de la première puissance mondiale était plus importante que tout. On pense notamment à ces tweets postés au mois d’avril par Donald Trump, qui « semblait avoir déjà appelé à la sédition » comme le rappelle très justement Florence G’sell, professeur de droit. « Des manifestants armés jusqu’aux dents avaient, à l’époque, pris d’assaut le Capitol du Michigan » précise-t-elle dans un thread intéressant et documenté.
Paradoxalement, les deux tweets invoqués par Twitter ne paraissent pas appeler directement à la violence. Mais ils suivent une longue succession de tweets contestables et des violences au Capitole auxquelles Trump paraît avoir directement appelé.
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— Florence G'sell (@flogsell) January 10, 2021

Donald Trump aura pendant longtemps bénéficié d’un traitement de faveur de la part des plateformes. Pour preuve, un utilisateur s’était amusé à recopier les tweets du président américain : Twitter avait alors suspendu son compte en moins de 3 jours en se basant sur sa politique en matière de menaces violentes.
Il aura fallu attendre le 26 mai 2020 pour que Twitter identifie un tweet de Donald Trump comme vecteur d’une fausse information. Cette première étape avait irrité le président américain qui avait alors accusé Twitter d’interférer dans le processus électoral. Début novembre, lors des élections américaines, de nombreux tweets de Donald Trump ont été identifiés voire masqués par Twitter en raison des mensonges qu’ils colportaient. Tout s’est accéléré la semaine dernière en marge des violences au Capitole à Washington.
Donald Trump essaiera alors de communiquer depuis le compte officiel du président des États-Unis (@POTUS) ; des tweets rapidement supprimés par le réseau social.
Depuis les décisions de Facebook et Twitter, la plupart des médias sociaux ont pris des mesures similaires : vous pouvez d’ailleurs visualiser la (longue) liste des plateformes qui ont suspendu les comptes de Donald Trump.
L’annonce de la suspension permanente, c’est-à-dire a priori définitive, des comptes de Donald Trump sur Facebook et Twitter et été très largement discutée dans les médias. Ces décisions ont suscité de nombreuses réactions, entre soulagement pour certains et questionnements pour d’autres qui s’interrogent sur la légitimité des plateformes à prendre de telles décisions. Mais avant de parler de la morale, du rôle et des pouvoirs de chacun, intéressons-nous au droit : est-ce légal de censurer le président des USA ?
Pour répondre à cette question, on cite parfois à tort le premier amendement des USA. Les premiers mots indiquent effectivement que « le premier amendement garantit la liberté de religion, d’expression, de réunion et de droit de pétition ». On pourrait donc estimer que Donald Trump a le droit, en tant que citoyen américain, de s’exprimer librement et que personne ne peut contraindre sa liberté. Mais la suite du premier amendement précise que ces droits sont garantis aux citoyens face au Congrès, qui ne peut promulguer de lois allant à l’encontre de ces principes fondateurs. Donald Trump est bien un citoyen américain mais Twitter est une entreprise privée, elle peut donc décider librement de suspendre l’accès à son service à quiconque à partir du moment où elle estime que ses conditions d’utilisation ne sont pas respectées. Les juges américains ont d’ailleurs plusieurs fois réaffirmé cette interprétation du premier amendement en rejetant les recours de personnalité contre les plateformes numériques.
On précisera également que la Section 230 du Communication Decency Act protège les plateformes en leur accordant le droit de prendre des actions, à partir du moment où celles-ci sont prises de bonne foi, pour restreindre l’accès à des contenus qu’elles estiment obscènes, excessivement violents ou autrement répréhensibles, et ce même si ces contenus sont constitutionnellement protégés. Il est donc a priori difficile pour Donald Trump de contester la base légale de ces décisions des plateformes.
Au-delà du droit, ces décisions ont suscité de vive réactions. Aux USA, de nombreuses personnalités publiques se sont réjouies, comme Hillary Clinton ou Stephen King.
Twitter finally got fed up with Trump's lying bullshit and took away his megaphone. Good. Makes me proud to be a twitterhead.
— Stephen King (@StephenKing) January 9, 2021

En France, en revanche, plusieurs personnalités politiques ont vivement critiqué ces décisions. De la gauche à l’extrême droite en passant par la majorité au pouvoir, de nombreux élus et responsables ont fustigé cette « prise de pouvoir » des plateformes numériques. Certains regrettent qu’une entreprise privée puisse prendre une telle décision sans supervision judiciaire ou démocratique.
Ce qui interroge, dans la suppression du compte de Donald #Trump, ce n’est pas tant le cas d’espèce que le fait que @Twitter agisse sans aucune supervision démocratique. pic.twitter.com/hmWMwS64u9
— Cédric O (@cedric_o) January 9, 2021

Ces déclarations sont étonnantes lorsqu’elles sont issues de responsables ayant soutenu des textes législatifs comme la loi N°2020-766 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi « AVIA ». En juin dernier, la majorité avait soutenu ce texte qui devait contraindre les plateformes à supprimer certains contenus dans un délai très court (entre 1h et 24h) sans contrôle préalable d’un juge. À l’époque, ils ne semblaient pas vraiment se préoccuper du rôle des instances judiciaires. Le conseil constitutionnel avait alors joué son rôle de garde-fou, en vidant le texte de sa substance, considérant que 19 articles – dont le 1er – portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou correspondaient à des cavaliers législatifs.
Des élus appellent donc à responsabiliser les plateformes en les obligeant à réguler les contenus qui circulent. Mais en même temps, pour reprendre l’expression consacrée, ils regrettent qu’une plateforme puisse supprimer un contenu ou bloquer un compte. Ils estiment finalement que cette régulation ne doit concerner que les citoyens lambda, et que leur statut de personnalité politique les exempte de toute contrainte. Il nous semblait pourtant avoir lu quelque part que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Ces élus se rendent compte visiblement un peu tard que le débat public s’est déplacé vers des plateformes gérées par des entreprises privées et qu’elles sont libres d’édifier leurs propres règles à partir du moment où celles-ci respectent la législation en vigueur. Tout utilisateur est ensuite traité comme n’importe quel utilisateur ayant accepté les conditions générales d’utilisation.
Au-delà du volet légal et du volet moral, on peut évidemment se poser la question des conséquences de ces décisions. Certains pourvoyeurs d’une « parole libérée » se retrouveront sur d’autres plateformes plus obscures, moins visibles du grand public. Le réseau social Parler espérait ainsi rassembler les bannis et les déçus de Twitter, mais les décisions récentes de Google, Apple et Amazon risquent de lui compliquer la tâche.
L’application Parler bannie de Google, Apple et Amazon
Donald Trump a déjà annoncé vouloir créer sa propre plateforme. Il réussira sans doute à fédérer ses adeptes et imposer ses idées en s’appuyant sur un sentiment d’injustice et de censure de l’expression. Nous verrons si ces idées restent cantonnées à ces plateformes ou si la mise en place d’échanges sans contradiction leur permet de se renforcer au point de se diffuser plus largement dans la société. Certains débats récents, de la 5G aux vaccins, auront malheureusement montré que la liberté des échanges sur les plateformes ne suffit pas toujours à convaincre que certaines idées sont saugrenues. Mais sans contradiction aux prémisses des débats, nous pouvons craindre une montée en puissance encore plus forte d’idées absurdes voire dangereuses, d’abord dans ces communautés autocentrées puis dans l’ensemble de la société.
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