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Avec 23,8 millions de publications sous le hashtag #museum sur Instagram, l’art attire définitivement les likes. Un phénomène aussi bien compris par les musées que par les utilisateurs du réseau qui peuplent leur fil de toiles et d’installations immersives. En 2014, la plateforme aux 1,5 milliard d’usagers lançait d’ailleurs le #MuseumSelfieDay, journée mondiale du selfie dans les musées qui a lieu, depuis, tous les 16 janvier.
Il faut dire que les musées offrent tout ce dont les influenceurs peuvent rêver: esthétisme, éclairage optimal et affiliation à un milieu intellectuel. «Les expositions d’art sont esthétiquement impactantes et permettent une mise en scène de soi, c’est un contenu qui fonctionne très bien pour les réseaux sociaux», analyse l’influenceur art Hugo Spini, alias Whereverhugo.
Une publication partagée par Hugo Spini (@whereverhugo_)
Hugo sait de quoi il parle: les musées, il en a fait son fonds de commerce et son compte Instagram dédié à l’histoire de l’art culmine à plus de 18.900 followers. «Un jour, un ami m’a dit qu’il n’allait pas voir d’expo parce qu’il ne savait pas comment s’habiller pour accéder aux musées. Je me suis dit qu’il y avait un sacré travail de désacralisation des institutions à faire… d’où mon ton accessible et parfois décalé», explique-t-il.
Si, comme les amis d’Hugo, vous vous êtes déjà demandé ce que vous foutiez au musée, levez la main. Problèmes d’accessibilité, image élitiste du monde de l’art, manque de médiation… Nombreuses sont les raisons qui peuvent nous faire nous sentir illégitimes dans une expo. Instagram joue ici un grand rôle, créant un pont entre scroll sur le canapé et achat de billets.
«Je suis persuadée qu’Instagram a changé l’expérience muséale, dans la mesure où les gens font de la veille autour des hashtags de lieux qu’ils aiment», constate Alexia Guggémos, critique d’art et sociologue du numérique. «Ça a toujours été une des problématiques majeures des musées: comment faire venir du monde? Les réseaux sociaux sont vraiment une façon de se projeter pour les futurs visiteurs.»
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Deuxième musée le plus suivi au monde (juste après le MoMA et ses 5,6 millions d’abonnés), le Louvre multiplie les stratégies pour satisfaire ses 4,9 millions de followers. «Depuis 2012, le musée du Louvre est présent sur la plateforme Instagram. Dès le début, la ligne éditoriale choisie a été de mettre en avant le palais et ses collections en privilégiant une esthétique soignée et des informations sur les œuvres», indique le service de communication du musée.
«La présence du Louvre sur les réseaux sociaux permet une proximité avec nombre de nos visiteurs éloignés. Sur Instagram par exemple, nous sommes très suivis par les États-Uniens et les Brésiliens, qui sont heureux de pouvoir créer un lien avec le musée, que ce soit avant ou après leur visite.»
Une publication partagée par Musée du Louvre (@museelouvre)
Fil soigné et interactions avec sa communauté semblent être le cocktail parfait pour séduire les futurs publics, notamment les plus jeunes, surtout lorsque l’on sait que 70% des utilisateurs d’Instagram dans le monde ont moins de 34 ans. «Le musée du Louvre accueille un public très jeune, 50% de ses visiteurs ont moins de 30 ans. Nous constatons aussi que notre public partage abondamment son expérience de visite sur les réseaux sociaux», poursuivent les représentants du musée. «On estime entre 300 et 400 mentions quotidiennes du musée du Louvre en publication feed et en story.»
L’âge est un facteur essentiel à prendre en compte pour les musées, aussi bien dans ses expositions que dans sa communication. Centre d’art numérique du XIe arrondissement de Paris, l’Atelier des Lumières fait du numérique l’essence même de sa programmation. Jacques de Tarragon, son directeur, l’affirme: «L’aspect numérique de notre espace permet d’attirer un public plus jeune, soit 40% de visiteurs de moins de 35 ans. Un pan important de notre communication s’autogénère, dans la mesure où ce jeune public est très connecté.» Avec Instagram, le public devient, en partie, critique et médiateur, et participe activement au bon référencement d’une exposition.
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Les musées doivent, plus que jamais, réfléchir à leur façon de communiquer. «Il y a des œuvres plus médiagéniques que d’autres, et c’est ce qui va motiver l’internaute qui va peut être chercher à retrouver l’œuvre vue sur Instagram, explique Alexia Guggémos. Aujourd’hui, c’est la vidéo qui suscite le plus d’impressions. Tout ce qui relève du storytelling, de l’émotion, fonctionne aussi très bien. Les musées cherchent de plus en plus à faire vivre une expérience, et cela se ressent sur les réseaux. Plus que jamais, le but est de susciter l’émoi, la surprise.» L’utilisateur d’Instagram aime entretenir un lien privilégié avec les personnes qu’il suit, et les institutions ne font pas exception.
Ouvert depuis 2018, l’Atelier des Lumières combine tous les éléments pour cartonner sur les réseaux sociaux, soit expérience immersive et narration. «Nous rendons hommage au travail des grands maîtres de l’histoire de l’art à travers des créations numériques. Il se trouve que ces contenus s’instagramment très facilement. Vous prenez une photo, même furtivement, et le rendu est tout de suite magnifique, continue Jacques de Tarragon. Mais attention, même si on est satisfait du caractère instagrammable de nos expositions, elles ne sont pas conçues spécifiquement pour les réseaux.»
Une publication partagée par L’Atelier des Lumières (@atelierdeslumieres)
Une précision des plus essentielles, alors qu’une nouvelle génération de musées à la programmation pour le moins discutable voit le jour: les pop-up museums. En 2018, un Museum of Selfies est inauguré à Los Angeles et ne fournit pas d’audioguides à ses visiteurs, mais… des perches à selfie. «La nouvelle génération cherche un cadre d’expérience pour le restituer à travers les réseaux, avance Alexia Guggémos. C’est une façon de récolter de la matière, des témoignages, des photos, et sous cet angle-là, c’est intéressant. Le contenu, lui, ne l’est pas vraiment.»
Musée de la crème glacée, de l’avocat ou des ballons, le phénomène des «pop-up museums» crée des expériences qui ne semblent être destinées qu’aux réseaux sociaux, quitte à zapper l’aspect culturel. Boudés par les critiques d’art, désertés par les conservateurs, ces pop-up museums semblent n’avoir de muséal que leur appellation.
«On remarque l’apparition de projets ou d’expos instagrammables comme “Pop Air” à la Villette, qui ont du succès notamment par l’aspect interactif, monumental et de mise en scène de soi, au point de se demander si elles ne sont pas même conçues pour les réseaux sociaux, remarque Hugo Spini. Et sur ce type très précis d’événements, le fond scientifique paraît en effet pour le moment relégué au second plan, au profit d’une expérience esthétique et immersive.» Mais que l’on se rassure, ce constat ne concerne pas (encore) les musées d’art se revendiquant comme tels.
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«Je pense qu’il ne faut pas mettre dans le même panier des installations qui sont imaginées en surfant sur la vague des réseaux sociaux et les institutions culturelles qui utilisent les réseaux sociaux comme une extension du lieu physique, ou pour créer/garder un contact avec les visiteurs, poursuit Hugo Spini. Cela étant, les expos muséales s’adaptent aux évolutions sociétales, et je pense qu’il est tout à fait possible de produire une exposition immersive avec un propos ambitieux.»
Décriés pour leur caractère superficiel, les pop-up museums encourageraient presque les musées traditionnels à faire preuve de créativité pour stimuler les publics. «Les institutions ne sombreront pas dans une mécanique communicationnelle. La nouvelle technologie peut avoir un certain attrait, mais plus pour créer de l’interactivité que pour générer le plus de hashtags possibles», juge Alexia Guggémos. Reste à savoir si, avec l’arrivée de nouveaux réseaux comme TikTok (et donc de nouveaux codes), les musées continueront de s’adapter sans tomber dans la com’ facile.
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