Édito /  Après vingt ans d’absence, la Star Academy, télé-crochet star du début des années 2000, faisait son grand retour en prime time samedi 15 octobre. Duplication troublante du show qui fit durant plusieurs années les belles heures de TF1, l’émission apparaît aujourd’hui comme le symptôme de l’incapacité de l’industrie culturelle à se renouveler, lorsqu’il est tellement plus aisé de miser sur la rentabilité toujours garantie du business de la nostalgie.
 
 
J’ai dix ans. Avec ma sœur, nous regardons sur le petit écran des gamins gesticuler sur de vieux tubes pop. Leurs tenues sont kitchissimes, les décors de comédies musicales où ils s’agitent tout autant. Leurs postures et leurs voix ont la fraîcheur et la maladresse de leur âge. Un animateur à la beauté surnaturelle leur vend la vie de château, un vieux chanteur sur le retour débarque sur le plateau pour leur dire qu’ils seront bientôt des stars adulées par la France entière.
J’ai trente ans. Avec ma sœur, nous regardons sur le petit écran des gamins gesticuler sur de vieux tubes pop. Leurs tenues sont kitchissimes, les décors de comédies musicales où ils s’agitent tout autant. Leurs postures et leurs voix ont la fraîcheur et la maladresse de leur âge. Le même animateur à la beauté inentamée leur vend la vie de château, le même chanteur sur le retour leur promet qu’ils seront bientôt des stars adulées par la France entière. 
Vingt ans ont passé, et pourtant rien n’a changé. La Star Academy, le télé-crochet culte du début des années 2000, est de retour. Des centaines de milliers de Français sont scotchés devant leur écran et plongent avec délectation dans le grand bain de nostalgie que leur offre en prime time la chaîne TF1. L’expérience est délicieusement régressive, du moins durant les premières minutes de l’émission. On attend le célèbre générique, on guette l’arrivée des nouveaux élèves, le défilé des nouveaux jurés.
Mais, rapidement, le trouble s’installe. Tout est trop « comme avant ». La chaîne a fait le pari de reproduire, à l’identique, les codes qui ont fait jadis le succès du programme, saturant les deux heures de show de références aux années 2000. Les clones des idoles du passé défilent : la jeune femme ultra-érotisée, le type nonchalant visiblement choisi par la prod’ pour pondre des vannes à la minute, le petit génie qui s’ignore, etc. Même le jury semble étrangement similaire au précédent. La copie est trop parfaite, le simulacre trop poussé. L‘auto-référencement permanent rend l’ensemble presque morbide.
Et pourtant, ça marche. Sur Twitter, le hashtag #Starac est en Top Trend. 5 millions de Français attendent l’arrivée du fameux bus qui conduira les nouveaux candidats au château. De mon côté, je ne peux m’empêcher de songer à cette phrase du philosophe Jean Baudrillard : « Nous sommes tous conviés à la réhabilitation fantomatique et parodique de tous les référentiels perdus. »
Comment ne pas faire de cette parodie d’un passé télévisuel glamourisé jusqu’à plus soif le symptôme de l’incapacité de l’industrie culturelle à se renouveler ? A produire de nouveaux imaginaires et de nouveaux codes ? Sommées de se réinventer face à la concurrence des plateformes de streaming, de la déferlante Tiktok ou Twitch, du temps passé par les jeunes sur YouTube, les grandes chaînes préfèrent nous offrir une version zombifiée de la télé d’il y a vingt ans. Des zombies, j’en ai croisés d’autres récemment, au cinéma surtout – oui, je parle ici de l’abominable Top Gun Maverick, autre pâle simulacre d’un mythe absolu de la pop culture.
Même les plateformes de SVOD, habituellement plus inventives, semblent céder désormais à l’appel de l’éternelle duplication de références désuètes. Depuis des semaines, la plupart de mes discussions avec mes amis ou collègues tournent autour des avantages comparés des préquels du Seigneur des anneaux, autre immense succès cinématographique du début des années 2000, et de la série Game of Thrones. Plutôt que d’oser la créativité, au risque d’un plantage financier, HBO comme Amazon Prime ont fait le choix d’investir des sommes folles (1 milliard de dollars pour la seule première saison des Anneaux du pouvoir, tout de même) dans des shows qui jouent à plein la carte de la nostalgie– au point que House of the dragon, le préquel de Game of Thrones, va jusqu’à recycler le générique de la série culte.
La pop culture semble ainsi disparaître au profit de sa transmutation perpétuelle en produits culturels « packagés » pour susciter la nostalgie, comme l’analysait si bien – il y a dix ans déjà – le journaliste anglais Simon Reynolds dans son brillant essai Rétromania (Le Mot et le reste, 2012). 
Serions-nous définitivement englués dans l’ère du recyclage culturel, condamnés à l’errance éternelle dans une bulle régressive brassant les mêmes signes et les mêmes références ad nauseam ? L’enjeu déborde largement la seule question « comment vais-je occuper mes soirées plaid-tisane-Netflix ? ». L’espace politique actuel laisse déjà peu de place à l’espérance et à la construction de récits collectifs porteurs de transformations positives (euphémisme). Alors comment notre génération peut-elle retrouver confiance dans le futur si la pop culture elle-même renonce à lui fournir de nouveaux imaginaires pour la renvoyer systématiquement vers un passé mythifié ?
Si le cinéma peine à conserver cette puissance d’influence sur les foules, les plateformes prennent le relai avec un succès incontestable.
Révolution ou gadget ? Dans ce premier épisode de notre podcast Mise à jour, on s’intéresse à l’utilisation de la vitesse accélérée sur les plateformes de vidéo.

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