Turing est l’incarnation du précurseur : avide de tensions à résoudre mais espérant ne jamais avoir fini d’en déceler. Parallèles avec le planning stratégique et le marketing
“Le génie n’est pas celui qui croit, mais celui qui saisit la progression des choses.” Par cette citation, l’écrivain et journaliste Laurent Lemire évoque Alan Turing, dans son ouvrage éponyme.
Alan Turing (1912-1954) est un mathématicien et cryptologue britannique. Ses travaux ont contribué aux débuts de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, son commandement lui lance le défi de déchiffrer Enigma, le code Allemand réputé indécelable avec ses centaines de milliards de possibilités. En testant 1000 possibilités par seconde, il aurait fallu 5 milliards d’années pour le résoudre. En 1941, sa machine appelée “La Bombe de Turing” démontre son génie en créant un mécanisme capable de décoder Enigma en 20 min. Une découverte qui permettra aux Alliés d’écourter la Guerre de près de 2 ans.
Par la suite, il crée le premier Automatic Computing System, ancêtre de l’ordinateur moderne. Libertaire et homosexuel, il est contraint à la castration chimique, puis se suicide par empoisonnement. L’incroyable combat contre Enigma ne fut rendu public que dans les années 70. Désormais réhabilité à titre posthume, il a rejoint le Panthéon des génies incompris.
Les propos de Laurent Lemire à l’égard du travail de Turing s’inscrivent parfaitement dans la genèse du processus de pensée adopté par tout bon planneur stratégique : comprendre les besoins, les attentes du consommateur, sans se laisser biaiser par de propres présomptions et perceptions. La réflexion adoptée par le mathématicien, dans son idéation de messages codés et de programmations se calque à bien des manières, sur les méthodes employées par le planneur.
“Si l’on savait de quoi les messages allaient parler, on n’aurait pas besoin de les déchiffrer”, ce passage, extrait de The Imitation Game (retraçant la vie de ce génie des codes), est l’élément déclencheur d’une révélation. Les messages de l’entente nazie comportaient toujours les mêmes signaux, il lui suffisait donc de reproduire ces signaux pour intercepter les codes échangés par les Allemands.
“Pour deviner la clé d’un code, il faut disposer d’une bribe de message en clair”. Lors de ses recherches sur Alan Turing, Alain Lorfèvre relève que ce dernier maîtrise l’allemand et qu’il fonde son analyse sur les conditions météo et les formules employées par le protocole de discipline militaire nazi qu’il sait incontournable.
Par analogie, le travail du planneur n’est pas si différent, voire même assez proche… Si le mathématicien posa les bases de l’ordinateur, il sut aussi être un précurseur dans l’appréhension de ce qu’étaient l’intelligence artificielle et le traitement des données. La machine de Turing est ainsi comparable à celle d’un data analyst : composée d’éléments factuels dont il a automatisé l’analyse et la compréhension. Ici, le parallèle est évident avec le travail de l’insight. Le planneur stratégique se doit d’utiliser les données afin d’appréhender au mieux les différents environnements, codes, éléments de langage. Depuis l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, la data est devenue une vraie mine d’or pour ceux qui savent les exploiter. L’analyse de données, l’exploitation de mots-clé, de requêtes SEO, via des outils en pleine expansion (Semrush, Ahrefs, Answerthepublic, etc) permet une connaissance toujours plus approfondie du consommateur et de ses problématiques. C’est ce qui est au cœur du travail du planneur stratégique, lui permettant d’établir et de répondre au célèbre “insight”, aussi qualifiable de “bombe du planning”.
Cette assimilation entre la compréhension des messages codés et l’identification de l’insight conduit à un second rapprochement entre le travail de Turing et le planning stratégique. En effet, trouver le bon insight ne se résume pas à la capacité de décodage des comportements et usages consommateurs. Il s’agit également de faire preuve d’objectivité et d’empathie en ne déshumanisant pas le sujet d’étude…
Peu de temps avant son décès, Alan Turing s’est consacré à un sujet encore inexploré : la potentielle intelligence des ordinateurs. Une question l’obsède : les machines peuvent-elles penser ? Cette interrogation est une première dans l’histoire de l’informatique, et les travaux avortés de Turing sur le sujet ont ouvert la voie de ce qui est communément appelé aujourd’hui : intelligence artificielle. Au début des années 50, il fait le pari fou qu’en l’an 2000 : “Une personne non prévenue n’aurait plus moyen de distinguer les réponses données par un humain de celles données par un ordinateur et ce, sur n’importe quel sujet”. Derrière cette ambition se cache l’espoir de voir en ses objets d’étude une forme d’imprévisibilité qui lui permettrait d’en apprendre autant des machines qu’il leur en apprend via la programmation.
Les tentatives de création de machines pensantes nous seront d’une grande aide pour découvrir comment nous pensons nous-mêmes.
Ce modèle de pensée n’est pas sans rappeler l’importance de l’humilité et de l’objectivité pour un planneur stratégique. En effet, considérer l’intelligence et le libre arbitre de son objet d’étude, en l’occurrence le consommateur, s’avère être plus que jamais au cœur des stratégies de communication. Le consommateur façonne de manière arbitraire et souvent imprévisible sa société et par extension, la direction prise par les marques. Ne pas considérer ce pouvoir dans une stratégie serait perçu comme une régression, et pourrait risquer le bad buzz, le boycott ou la ringardisation.
Ainsi, à l’image de ce qu’Alan Turing imaginait avec l’intelligence des machines, c’est un jeu d’influence mutuelle qui se joue entre le planneur et le consommateur. Le consommateur révèle des besoins et tensions qui sont vectrices de tendances et d’insights ; le planneur lui, crée une nouvelle vision du monde qui répond à ses problématiques, tout en remplissant les objectifs d’un brief client.
Les mathématiciens ont toujours aimé les problèmes pour le plaisir d’en créer de nouveaux.
Laurent Lemire, dans sa biographie de Turing, décrit un homme ne se contentant pas des problèmes de l’environnement dans lequel il vit. À l’instar du scientifique, le planneur doit trouver les réponses aux problématiques que les marques et les consommateurs n’ont pas encore solutionné ou envisagé, se remettre en question le plus souvent possible.
À l’image de sa Bombe ou de son intérêt pour l’IA, Turing permet de pointer du doigt que le planneur stratégique doit comprendre et décrypter un langage encore inconnu du grand public.
Fidèle à sa vision, Turing est l’incarnation du précurseur : avide de tensions à résoudre, mais espérant ne jamais avoir fini d’en déceler. À l’image du scientifique, le planneur ne se contente pas de répondre aux enjeux consuméristes contemporains, mais comprend l’évolution de son sujet, anticipe les problématiques et tendances à venir.
Auteurs : Pierre Leroy, Rubis Levalois, Gabriel Meunier, Alban Ros
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