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Basile Viault, Chief Data Officer chez TBWAParis, nous offre dans cette interview son point de vue sur l’importance croissante de la data dans le travail des agences créatives.
Le panorama des agences de communication a beaucoup évolué depuis la fin des années 90. L’arrivée de nouveaux acteurs a participé au bouleversement du secteur, mais l’utilisation de nouveaux outils et l’omniprésence des données ont également participé à modifier les équilibres en place. Pour en savoir plus sur l’utilisation des données au sein des agences créatives, nous avons interrogé Basile Viault, Chief Data Officer chez TBWAParis.
Il est bien important de faire le distinguo dans l’océan des définitions de la data : une agence créative (data créatifs) à un besoin de données très différent dans ses objectifs, d’un cabinet conseil SSII (Accenture, Deloitte, Cap Gemini) ou d’une agence média (data scientists). Quand une agence créative parle de données, elle ne parle pas d’une base de données complexe aux millions d’entrées, d’un tableau de bord aux KPIs multiples et sophistiqués, mais elle parle d’une utilisation « data friendly » avec des outils beaucoup plus accessibles. Quand une agence créative parle de données, elle va à la fois à l’opposé des concepts des cabinets conseil (dans la rigueur méthodologique), et à la fois reste très proche et plus « agile » que ces dernières : là où d’autres cherchent à faire de la donnée une dimension exacte, nous travaillons la donnée à des fins de justesse d’analyse : la justesse d’analyse compte plus que l’exhaustivité du traitement des données, autrement dit, le juste prime sur le vrai. Ainsi dans l’approche créative de la data, l’enjeu est de trouver l’insight, la donnée inspirante qui va alimenter les équipes créatives : on est là pour trouver une idée forte qui sert la stratégie de communication, et non pour piloter une myriade d’indices.
Le monde de la communication n’a encore jamais autant été sous la pression de la mutation. Entre les nouveaux acteurs du conseil qui grandissent et les acteurs historiques qui continuent de vivre sur leurs acquis, le marché tel que nous le connaissons devrait beaucoup évoluer dans les années qui viennent. Comment émerger dans un monde de personnalisation standardisé ? Nous pouvons légitimement nous poser cette question dans un contexte où les agences internationales se munissent des outils émergents pour faire de la « data ». Son influence est en train de bouleverser les habitudes établies : mais comme l’outil est assez jeune, les bonnes pratiques sont encore en train d’émerger, et continuent de nous questionner. Pour certains, la data est un frein à la créativité, mais pour d’autres, elle est source d’inspiration.
Elles sont utilisées de deux manières différentes. Tout d’abord, elles servent à générer ou à aider l’ »input » créatif. La data va permettre de donner des nouvelles zones d’opportunités qui étaient jusqu’alors inexploitées par le planning stratégique. Initialement, le planning stratégique est un département d’études en agence créative. L’avènement des outils digitaux l’a donc poussé à faire sa mue, de par l’étendue des données disponibles (données d’études, sociales, de search…) et la manière dont il faut les traiter pour répondre aux problématiques de nos clients.
Ensuite, les données doivent répondre à des enjeux business, qui vont faire intervenir souvent un cabinet d’études. Pour donner un exemple sur lequel j’ai beaucoup travaillé, on peut citer une enseigne de restauration rapide et les emplois étudiants. J’ai été amené à chercher des données à de nombreux endroits et à les croiser pour amener à des réflexions à la fois business, stratégiques et créatives. L’étude de la cible, bien sûr. Quelles sont les typologies de personnes visées ? Quel est leur parcours utilisateur dans l’ensemble d’un écosystème de recrutement ? Les réseaux sociaux, les sites emploi, les sites d’avis vont me donner chacun des éléments de réponse complémentaires. Mais il faudra également s’attarder sur les taux de transformation par région, sur le coût de la vie dans chaque ville qui a un impact important, sur le ratio d’étudiants par métropole, sur l’attractivité de chaque site… C’est de la confrontation de toutes ces données que naissent des recommandations pertinentes.
Il ne faut toutefois pas se tromper sur la data : on a parfois l’impression qu’elle nous permet de tout trouver tout de suite, qu’elle est exploitable dans l’instant, qu’elle est source de réponses exactes. Ce n’est pas le cas, et cela peut créer beaucoup de frustration. C’est là que l’on se différencie des cabinets de conseil : notre objectif est d’être juste, pas d’être vrai. Comme le dit Mercedes Erra, « une donnée n’est juste que lorsqu’elle raconte une belle histoire« . C’est exactement l’objectif d’une agence créative.
Il est important de passer de l’opportunisme à l’opportunité et d’arrêter de se dire que la data sert à faire des rebonds sur l’actualité. Le monitoring, le social listening doivent permettre de donner du sens. Aujourd’hui, nous faisons face à une population qui est soit réfractaire à la publicité, soit qui utilise des solutions sans publicité. C’est le cas de Netflix par exemple, ou de versions premiums de services de streaming musicaux. Il faut donc trouver d’autres moyens de toucher cette cible, se rapprocher de principes de communication plutôt que de principes de publicité. Nous allons vers du one to very one, en opposition au one to many. Les constructions des messages vont être beaucoup plus user-centric. On va partir des problématiques liées à un business pour y apporter des réponses et c’est les réponses qui vont amener le contenu. Il faut intégrer les problématiques du consommateur à un instant T, les écouter pour mieux leur parler, à travers les données que l’on recueille.
Ce n’est pas une question de budget, mais d’ouverture d’esprit. C’est la même problématique qu’avec le digital et le social media. Au début, il n’y avait que quelques marques pour se lancer. Puis tout le monde s’y est mis, même quand ce n’était pas nécessaire. L’utilisation de la data va prendre le même chemin. Demain, 100 % des marques seront obligées de passer sur une nouvelle typologie d’expérience client, sinon elles seront totalement oubliées. Aujourd’hui, trop peu d’agences ont réussi à se structurer autour de la data. Tant que nous, agences créatives et conseils, ne seront pas capables de le faire correctement, nous n’arriverons pas à le vendre correctement à une marque. Et il faudra y arriver vite, c’est le sens de l’histoire.
Adidas, avec « Green Light Run », m’a beaucoup impressionné. Ils sont partis de l’observation qu’on ne pouvait pas faire de marathon à Tokyo à cause des nombreux feux de signalisation. Ils sont donc partis des données issues de leur application de running, croisées avec celles des feux en temps réel, pour donner des indications de direction aux coureurs pour leur permettre de courir 42 kilomètres sans être bloqués à un feu rouge. Cela montre une toute nouvelle relation expérientielle où les marques doivent apporter quelque chose. Nous sommes arrivés à l’ère des marques servicielles, plus des marques communicantes. Demain, on pourrait très bien imaginer un site de rencontre nous indiquer en temps réel les terrasses de Paris qui sont ensoleillées pour faire connaissance de manière plus agréable !


La connaissance cible et la connaissance client permettent d’être dans de l’ultra-ciblage et d’être plus cohérent. Par exemple, une marque comme Winamax cible les 18-25 ans, avec un ton irrévérencieux. Il y a 15 ans, on se serait arrêté là, on aurait produit un 4X3 en conséquence. Aujourd’hui, on est capable de dire que les 18-25 ans concernés ne sont pas les fans de Kev Adams ou de Justin Bieber, mais plutôt ceux de PNL ou de Roméo Elvis. On va pouvoir les adresser de manière beaucoup plus efficace, créer un segment beaucoup plus fin que le simple « 18-25 », être dans une approche beaucoup plus affinitaire. Nous allons essayer de comprendre qui ils sont, la manière dont ils conduisent leur vie. C’est un changement de paradigme assez fort qui amène des résultats bien meilleurs.
Il va falloir éviter de se transformer en « escrocs » de la donnée. Il faut rester humble car personne ne sait comment l’utilisation de la donnée va évoluer, ce que l’on va pouvoir en faire. Nous ne savons pas ce que nous allons pouvoir en faire au final, le RGPD est un bel exemple de rebondissement, et même avec cette régulation, on sait qu’en combinant 15 critères anonymisés, nous pouvons retrouver 99,98% des personnes. Nous sommes à un moment charnière, un peu comme quand nous avons vu arriver tous les « escrocs » du web dans les années 2000, attirés par les budgets et par le bruit généré.
Il va falloir également différencier les différents acteurs qui travaillent sur le sujet, que ce soit les agences média qui ont une expertise de data média, et les agences on va dire classiques, qu’elles soient digitales ou traditionnelles, qui ont une data à but stratégique et créative. Ce sont deux choses différentes, même si dans chaque cas l’objectif est d’être agile avec la donnée en apportant de la valeur au client.
Pour ce qui est des limites, elles sont nombreuses. La première, c’est la limite intellectuelle de l’humain, donc c’est le biais de l’analyste. C’est le problème du bruit, qu’il soit sémantique ou de set-up. Par exemple, si on veut écouter ce qui se dit sur Vichy, il va falloir être plus précis si on veut éviter une majorité d’occurrences hors-sujet : parle-t-on de la ville ? Des pastilles ? Du régime ? De l’eau ? Il va falloir déterminer les limites de l’écoute pour lui donner du sens. Un autre souci peut se poser sur l’orthographe. De nombreuses personnes écrivent Leroy Merlin phonétiquement : le roi merlin, leroi merlin… Pareil avec la SNCF, où il ne faut pas oublier de surveiller SCNF. Et je ne parle pas des biais liés à l’analyse de sentiments et de tonalité. Nous n’arrivons toujours pas à savoir automatiquement si un message « il est gentil » est positif ou négatif. Les agences créatives doivent donc veiller à s’assurer de la cohérence des données qu’elles reçoivent si elles veulent s’en servir pour raconter une histoire qui est juste. Car notre travail ne change pas avec cette multiplication de la donnée : c’est toujours raconter une histoire.
Nous ne devrions pas opposer les données à la créativité dans une agence. Nous devrions plutôt en exploiter les possibilités pour améliorer ce que seuls les humains peuvent fournir aux entreprises et, plus largement, à l’innovation, dans un monde où l’automatisation et la robotisation sont encore une vision et une convention du marché. Intégrer des données dans nos activités humaines peut jouer un rôle crucial pour exceller dans l’environnement concurrentiel actuel. Selon Becky Wang, dire que c’est « les datas, comme la créativité, sont une façon de penser et de résoudre des problèmes business et peuvent transformer des solutions en idées qui ont un impact sur la culture ». C’est exactement le type de défi que la publicité devrait surmonter. Il est important de voir comment la créativité et la publicité sont interconnectées avec les datas. Cependant, avant de pouvoir continuer à élaborer leur lien, son importance et la meilleure façon de l’exploiter, il faut d’abord reconnaître les limites qui s’imposent aux datas dans l’environnement des agences de publicité.
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