Google roi des moteurs de recherche, Google roi du contenu, Google roi de la publicité, Google roi de la cartographie, Google roi… Google roi du web ? Dans cette tribune, Georgiana Pricop, experte en communication et marketing digital, revient sur  les stratégies du géant du numérique qui ont abouti à la construction d’une position monopolistique sur le marché des moteurs de recherche mais aussi sur sa stratégie en cours pour consolider une position monopolistique sur le web… Dans son entièreté !
 
Historiquement, Google s’est donné comme mission « d’organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous ». Or, tout le monde sait que l’information, c’est le pouvoir. Qu’est-ce donc que d’aller au-delà de la détention de l’information pour se placer en organisateur de celle-ci, sinon un pouvoir absolu ? Google, roi d’Internet, est aussi maître du ROI (return on investment). Mais quelle est exactement l’étendue de son pouvoir ?
Just go and google it!, rien de plus naturel dans notre quotidien à tous… Les chiffres le prouvent puisqu’en janvier 2020, 6 milliards de recherches Google étaient effectuées chaque jour par 1,17 milliards d’utilisateurs uniques. En moyenne, 71 000 requêtes sont effectuées toutes les secondes à l’échelle mondiale. En effet, Google satisfait nos curiosités, notre soif de savoir, de divertissement, d’information ; il est même juge de nos débats avec nos pairs ! Quand deux ou plusieurs personnes n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un sujet, c’est Google qui a raison ! Et plus personne ne doute.
Qu’est-ce que Google pour la plupart d’entre nous ? Un moteur de recherche nous ayant fait oublier tous les autres. La loi du monopole d’Elias (la conquête du web par une poignée d’acteurs dont Google apparaît en chef de file — les GAFAM — ressemble fortement à la dynamique de concentration monopolistique menant à la création des États modernes décrite par le sociologue Norbert Elias dans La Dynamique de l’Occident, NDLR) semble s’appliquer à Google (et à l’espace virtuel) puisque plus aucun challengeur n’approche. Qu’est-ce donc que Google ? Une institution dont nous avons oublié les fondements. Plus encore ? Une évidence. La solution si simple et gratuite pour répondre à ce besoin si ancré et si important pour nous, le besoin d’information qui nous relie aux autres.
Un drôle de pouvoir, une drôle d’équation. Google répond à toutes les questions du monde sauf à une : comment fait-il pour y répondre ? Grand paradoxe. Son algorithme, qui trie parmi les 130 000 milliards de pages indexées en 2020, fait partie de ces secrets industriels les mieux gardés au monde. Sauf que Google ne vend pas du soda ou des burgers, il donne des réponses. Sous prétexte de secret industriel au même titre que la recette de Coca-Cola, Google défie la démarche scientifique qui veut que le savoir soit issu d’une méthodologie précise basée sur l’expérimentation et sur la preuve, et il nous apporte des réponses comme par magie, nous faisant ainsi sortir du paradigme cartésien. Et cela ne semble pas nous poser un problème.
Google punit les sites qui ne sont pas mobile friendly ou UX, Google punit les contenus qui ne sont pas enrichis par des images ou des vidéos, le trop de caractères sans répétition incessante de la requête principale, le pas assez… Le SEO, vous en avez entendu parler ? Le Search Engine Optimization ou l’optimisation pour les moteurs de recherche, enfin, pour le moteur de recherche roi, Google. Un acronyme bien connu dans le monde de la communication qui a donné lieu à un métier à temps plein : le métier de référenceur web. Ce dernier n’est ni un journaliste, ni un rédacteur, il n’est pas un communicant non plus, mais un spécialiste de Google qui cherche sans cesse à en décrypter l’algorithme.
Le monde libre du web se perdait dans son propre désordre… Heureusement que Google, avec son fameux « PageRank », a légiféré et prospère désormais en tant que grand ordonnateur des lois qu’il a lui-même édictées. Dans un monde de l’information où les institutions, les entreprises, les personnes physiques deviennent des médias, Google semble pousser l’ensemble des producteurs de contenus face à un véritable choix cornélien : écrire pour Google ou écrire pour son public ? La question ne se pose pas ? Si. Dans la mesure où ne pas se plier aux exigences techniques et rédactionnelles du web régi par Google revient à ne jamais être visible pour son public. Or ne pas être vu – et donc ne pas être lu – c’est frustrant quand on a un message à faire passer ; ne pas être vu – et donc ne pas être lu – revient même dans certains cas à ne plus pouvoir produire de contenus.
Qu’il s’agisse de certains médias qui fondent leur modèle économique sur la publicité ou des services de communication des entreprises, la notion de performance – le taux de clic, le taux de rebond, le ROI (Retour sur investissement) en un seul mot – distingue ceux qui pourront poursuivre leur activité de ceux qui, faute de ressources, devront nécessairement l’arrêter.
Écrire pour Google alors ! Mais à quel prix ? Il existe deux voies possibles. La première est la pratique exacerbée du SEO, qui revient à participer sciemment à l’appauvrissement et à l’uniformisation des contenus disponibles sur le web. La seconde est de payer Google pour ne pas se retrouver noyé dans la richesse quantitative des contenus qu’il indexe et surpasser ainsi tous les autres. En effet, si vous n’êtes pas partisan du SEO, Google a une réponse pour vous : le SEA. Le terrain du Search Engine Advertising qui signifie littéralement « publicité sur les moteurs de recherche » a été fortement investi par Google qui multiplie de plus en plus les liens commerciaux ou publicitaires sur ses pages lorsqu’il répond à nos requêtes. Google Ads est le « trésorier » qui collecte l’impôt auprès des annonceurs qui souhaitent assurer à tout prix la visibilité de leurs contenus.
Google se donne officiellement pour mission de rendre l’information universellement accessible utile. Or, les règles régissant le SEM (Search Engine Marketing) soulèvent un paradoxe nouveau : si on peut payer pour rendre accessible n’importe quel contenu, il est aisé de penser que ce contenu n’est pas forcément le plus pertinent en réponse à une requête donnée et donc n’est pas forcément utile. Inversement, les contenus utiles, « les bonnes réponses » à une requête donnée qui ne bénéficieraient pas d’un lien sponsorisé ni d’une optimisation SEO, pourraient se voir noyées en SERP 10 sans jamais être accessibles. Une blague dans le domaine du SEO veut que pour cacher un cadavre, il suffise de le cacher en deuxième page des résultats de Google…
Sur Google, l’accessible et l’utile sans être totalement irréconciliables, ne vont donc pas forcément de paire.
Google ne s’est pas satisfait d’une position monopolistique sur le marché des moteurs de recherche, mais semble chercher à consolider une position monopolistique sur le web dans son entièreté. En effet, via sa société Alphabet, Google mène une politique de diversification forte, procédant à de nombreuses acquisitions au fil des années. II détient aujourd’hui de nombreux logiciels et sites web notables parmi lesquels YouTube, le système d’exploitation pour téléphones mobiles Android, ainsi que d’autres services tels que Gmail, Google Drive, Google EarthGoogle Maps ou Google Play… Softwarehardwaresoftpower, de quoi bâtir un royaume ! Qu’est-ce donc que Google sinon le détenteur du monopole de la violence symbolique légitime sur le web ?
Si la publicité (display et achats de mots clés) ont fait la richesse de Google, c’est bel et bien sa promesse initiale, celle de son premier service — le moteur de recherche — qui lui a permis de s’assurer le monopole sur d’autres marchés numériques, et de commencer une entreprise qui s’apparente à une forme de colonisation du web. En effet, avec Google le syntagme « l’information c’est le pouvoir », n’a jamais été aussi vrai, dans la mesure où plus Google donne de l’information, plus il en récolte. Plus il donne de l’information, plus il consolide son pouvoir. Comment ? L’ensemble de ses services, dont la plupart sont gratuits, sont des grands collecteurs de data. Pas besoin de rappeler que lorsque c’est gratuit, le produit c’est vous, si ?
Le jeune prodige Steve Lacy a l’occasion de le constater à chacun de ses concerts. Connu pour le titre « Bad Habit », popularisé sur la plateforme TikTok, où plus de 500 000 vidéos (dont certaines cumulent plusieurs millions de vues) utilisent un extrait de son tube, Steve Lacy est condamné à vivre éternellement le même grand moment de solitude. Quand il commence sa chanson, personne ne connaît les paroles de « Bad habit »… en dehors de l’extrait de 20 secondes, devenu viral.

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