Le géant du streaming se lance dans une IPO atypique, sans émission d’actions. Son document d’introduction en dit beaucoup sur ses forces et les menaces qui pèsent sur son business.
Spotify, le géant du streaming musical, a déposé ce 28 février une demande d'introduction en Bourse à Wall Street. Fait inhabituel, la plateforme demande une cotation directe, c'est-à-dire sans émission de nouvelles actions et donc de levée de fonds. Un moyen de se passer de garantie bancaire ou de broker, tout en faisant sortir rapidement les actionnaires qui mettent leurs parts sur le marché. Le groupe suédois, valorisé près de 19 milliards de dollars, ne précise pas le prix d'introduction de ses actions, ni leur nombre. Mais la consultation de son document d'introduction en bourse, le S-1, permet d'apprendre bien d'autres choses.
Avec près de 159 millions d'utilisateurs mensuels actifs dont 71 millions d'abonnés payants, soit près du double d'Apple Music (36 millions d'abonnés payants), Spotify est le numéro 1 mondial du marché du streaming. Présente dans plus de 61 marchés, la plateforme revendiquait près de 42% du marché mondial du streaming en 2016 en termes de chiffre d'affaires. Un ratio qui s'établit à 41% aux Etats-Unis, 42% au Brésil et 59% au Royaume-Uni, ses trois principaux marchés. En Suède, la plateforme est en quasi-monopole, avec 95% de part de marché.
Bien installé sur son trône, Spotify n'en oublie pas pour autant de continuer à chercher de la croissance. Elle a, en croire une étude d'Ovum citée dans son S-1, une belle marge de progression. Sur les 61 pays où est présent Spotify, seuls 13% des habitants équipés d'un smartphone et disposant de capacités de paiement utilisent le service.
Bien évidemment, Spotify n'est pas le seul à regarder ces nouveaux bassins d'audience avec convoitise. Le Suédois devra composer avec la concurrence de Gafa qui misent sur leurs haut-parleurs intelligents, Amazon Echo, Google Home et Apple HomePod, pour lui tailler des croupières. "Certains de nos concurrents, dont Apple, Amazon et Google, ont développé ou continuent de développer des appareils au sein desquels leur service de streaming musical est installé par défaut", écrit Spotify. Au vu de la menace, la société alerte les futurs investisseurs sur un probable ralentissement de sa croissance : "Nous ne pouvons pas assurer que notre chiffre d'affaires continuera à croître, voire ne déclinera pas dans le futur."
S'ils représentent un peu moins de 45% de son audience mensuelle, les abonnés premiums de Spotify sont de très loin sa première source de revenus. En 2017, ils pèsent 90% de ses 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires. L'activité publicitaire a plus que doublé entre 2015 et 2017 (portée notamment par le programmatique audio) mais reste encore anecdotique, avec 416 millions de dollars générés sur l'année.
La marge brute dans le payant est passée de 15 à 22% entre 2015 et 2017. Longtemps déficitaire, l'activité pub n'est revenue dans le vert qu'en 2017, avec une marge brute passée de -12% à +10%. Mais la stratégie est bien rôdée : l'offre gratuite et financée par la publicité doit servir de tremplin vers le payant. 60% des abonnés payants inscrits depuis février 2014 en sont issus.
Le nombre d'abonnés premiums de Spotify est son principal levier de croissance. Il a crû de 46% entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2017, pour s'établir à 71 millions. Le nombre d'abonnés total, lui, augmente de 29% sur la même période.
Au rayon des difficultés, on notera en particulier l'évolution du revenu moyen par utilisateur premium. Cet ARPU premium baisse continuellement depuis 2015. -9% entre 2015 et 2016. -14% l'année suivante, pour atterrir à 5,32 dollars par mois et par abonné. La conséquence de la stratégie agressive d'acquisition mise en place par Spotify courant 2016 pour convertir de nouveaux utilisateurs, via des offres à prix cassés comme le "Pack Famille" vendu 14,99 euros par mois (il peut concerner jusqu'à 5 personnes) ou le tarif étudiant proposé à 4,99 euros par mois. De quoi éroder la marge de Spotify par rapport à son abonnement standard proposé à 9,99 euros mensuels. Un bon point tout de même pour ces offres : elles ont un impact positif sur le taux de churn qui est passé de 7,7% à 5,5% entre 2015 et 2017 (en plus de booster la croissance du nombre d'abonnés payants).
Certes, Spotify ne sera pas la première plateforme à s'introduire en bourse en perdant de l'argent, beaucoup d'argent. Facebook, Twitter ou Snap l'ont fait avant lui. Mais la capacité de la société à atteindre un jour la rentabilité pose question. Sa perte d'exploitation s'est creusée en 2017, passant de 349 à 378 millions d'euros. La plateforme a accumulé près de 2,5 milliards d'euros de déficit depuis son lancement.
Un gouffre qui s'explique par les "coûts significatifs" que représentent les accords de licence noués avec les labels de musique et les royalties reversés au titre de leurs droits d'éditeurs et d'auteurs. Spotify a reversé près de 8,5 milliards d'euros à l'industrie depuis son lancement en octobre 2008. Et la générosité de Spotify ne s'est pas démentie en 2017, avec une hausse de 27% des dépenses sur ce terrain par rapport à 2016. La société s'est même engagée à verser près de 1,7 milliard d'euros à l'avenir, sur une période non précisée, dont près de 90% iront aux quatre majors les plus puissants : Universal Music, Warner Music, Sony Music et Merlin.
D'où cet aveu déconcertant pour une société qui joue une partie de son avenir en bourse : "Nous ne pouvons pas garantir que nous générerons suffisamment de revenus grâce à nos activités premiums et publicitaires pour compenser de tels coûts. Si nous n'arrivons pas à faire en sorte que le chiffre d'affaires dépasse ces coût opérationnels, nous ne pourrons pas atteindre la rentabilité ou générer un cash-flow positif de manière pérenne." Ouch.
Son nombre d'heures d'écoute n'a cessé d'augmenter au cours des années (de 26,7 milliards d'heures streamées en 2016 à 40,3 milliards en 2017) et Spotify le doit d'abord à la popularité croissance de ses playlists. Format introduit courant 2016 sous forme de recommandation personnalisée (Discover Weekly, Daily Mix), de sélections effectuées par des partenaires ou de contenus UGC, la playlist permet de trouver son bonheur dans les 35 millions de morceaux disponibles au sein de la plateforme.
Les playlists personnalisées type Discover Weekly ou Daily Mix ont compté pour 17% du temps d'écoute mensuel sur la plateforme. Le ratio est de 15% pour les playlists partenaires et 36% pour l'UGC. Au total plus de 68% du temps d'écoute est directement imputable à des playlists.
Faire partie d'une des playlists poussées par la plateforme est donc aujourd'hui le meilleur moyen pour un artiste d'émerger. Le Français Petit Biscuit était un total inconnu jusqu'au jour où son morceau "Sunset Lover" a rejoint la playlist "Electro Chill" de la plateforme, avant d'intégrer quelques mois plus tard les "Hits du moment" et son million d'abonnés. Il figure aujourd'hui parmi les artistes les plus écoutés, aux côtés de Drake ou Taylor Swift.
Spotify, le géant du streaming musical, a déposé ce 28 février une demande d'introduction en Bourse à Wall Street. Fait inhabituel, la plateforme demande une cotation directe, c'est-à-dire sans émission de nouvelles actions et donc de levée…
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