Arrêt sur images
S. Laurent (Le Monde), F. Ruffin (Fakir) et L. Merzeau (SavoirCom1) débattent
Le résumé de l’émission, par Robin Andraca :
Pour lutter contre les fausses infos en ligne, après le Brexit, après l’élection de Trump aux Etats-Unis, Le Monde a lancé début février Decodex, le premier labellisateur de sites d’infos en ligne, qui classe les sites d’info et blogs selon un code couleur précis, allant de vert (pour “plutôt fiable) à rouge (pour “pas fiable du tout”) en passant par orange (pour “régulièrement imprécis”). Le site a aussi publié des fiches pédagogiques, en expliquant par exemple comment rechercher la source première d’une image sur le net, pour ne plus se faire berner par les faux montages qui se partagent parfois par milliers sur les réseaux sociaux.

Cette labellisation a fait hurler plusieurs labellisés, dont le fondateur du site Les Crises, Olivier Berruyer, invité à plusieurs reprises sur notre plateau, et qui s’est exprimé à ce sujet sur Russia Today (Décodex l’avait classé en “rouge”, avant de le passer en “orange”). L’économiste Jacques Sapir estime (sur RT aussi) que Le Monde mène, à travers son outil, une guerre idéologique. Enfin “L’Agence Info Libre”, site quasiment mono-sujet sur le “conflit sioniste” et qui couvre principalement des évènements organisés par l’extrême droite, envisage de lancer son propre Décodex pour contrer celui du Monde.
Pour défendre son labellisateur, Laurent lance invoque pêle-mêle la viralité (“Ce qui m’intéresse, ce sont des sites qui propagent beaucoup de choses sur les réseaux sociaux. On se priorise sur ces sites-là”), mais aussi la… taille d’une rédaction, susceptible selon lui de déterminer la fiabilité du média : “Une organisation comme Le Monde, qui a 300 journalistes, est plus à même de couvrir de l’information tous les jours, elle est conçue pour ça, elle va la chercher, elle a des envoyés spéciaux, des reporters, des moyens pour la vérifier, pour la fiabiliser. Ça ne veut pas dire qu’on ne fait pas d’erreurs, on en fait comme tout le monde“, explique le fondateur du Décodex. (Acte 1)

Cas pratique sur le plateau d’@si pour comprendre tous les ressorts de ce labellisateur : pourquoi avoir labellisé, dans un premier temps, Fakir en orange ? “On voulait faire un distinguo entre sites qui contiennent une section d’information suffisamment importante et des sites qui sont de plus petite taille, qui ont un point de vue (…) Je suis désolé, c’est tout à fait respectable, mais Fakir parle d’un point de vue“.

Cas pratique suite : on montre au journaliste du Monde une vidéo publiée le 20 janvier sur le site Fakir, où Ruffin assure que l’un des porte-paroles d’Emmanuel Macron, a “menti” en assurant que le cabinet de l’ancien ministre de l’économie avait bien reçu des syndicalistes d’une entreprise en liquidation en 2015. Inacceptable pour Laurent : “Moi, je ne me permettrais pas de traiter quelqu’un de menteur par exemple (…) Sinon, je suis attaqué, ça s’appelle de la diffamation. Moi j’écris pas « mens ». J’écris « se trompe », ou j’écris autre chose“.

Réponse de Ruffin, en direct de sa cuisine : “Si Le Monde veut nous mettre en orange, ils nous mettent en orange. Si But veut dire du mal de Darty, c’est à peu près logique“. Avant de développer : “Il y a la confusion de deux choses dans le Décodex : d’un côté le critère de fiabilité et de l’autre côté le critère de l’opinion. Et je pense qu’il faut les traiter séparément, alors que là il y a un gros mélange “. (Acte 2)
Pour Louise Merzeau, la labellisation ne doit pas venir d’un journal, mais d’une communauté de gens, pas forcément journalistes, et qui doit être régie par des règles discutées et reconnues au sein de cette communauté. Pour Laurent, on n’a déjà plus le temps : “L’urgence, c’est les fake-news. L’urgence c’est les présidentielles. Vous avez vu ce qui s’est passé aux États-Unis, en Angleterre, on voit bien que c’est quelque chose qui monte de manière exponentielle, qu’il y a un vrai souci et on voulait lancer une démarche“.
Les fake-news justement. Pourquoi classer le Washington Post en vert, lui qui s’est récemment trompé en affirmant que des pirates russes s’étaient infiltrés dans le réseau électrique américain ? “Il y a une différence entre se tromper quand ce n’est pas intentionnel et manipuler l’opinion de manière insidieuse“, estime Laurent. “Ce n’est pas la même chose de commettre des erreurs et de fabriquer intentionnellement des choses fausses. Il y a quand même une grosse différence entre les deux“.

On élargit ensuite le débat à la question : peut-on être militant et journaliste en même temps ? Non pour Laurent : “Je suis avant tout journaliste. Et journaliste, c’est expliquer le monde tel qu’il va (…) J’estime qu’être journaliste ce n’est pas donner son avis“. Ce n’est pas l’avis de Ruffin : “Moi, je me suis mis dans le journalisme parce que j’avais envie de changer la société, et je pensais que l’information était un moyen de diffuser une autre information, et un moyen de transformer la société“. (Acte 3)
Laurent, lui, ne souhaite pas changer le monde, juste remporter cette guerre contre les fausses infos : “On s’engage dans une guerre, une guerre pour se battre pour une information qui repose sur des faits, et pas n’importe quoi. C’est vraiment une question qui me paraît essentielle aujourd’hui“. En conclusion, Merzeau estime que “l’information n’est jamais une donnée brute, un absolu, quelque chose de vérifiable, de toute éternité et incontestable“. Comment dès lors labelliser les sites d’infos collectivement ? “Wikipedia est un excellent exemple, qui montre qu’il était tout à fait possible de manière collective, avec énormément de contributeurs, et à très grande échelle, d’établir une gouvernance commune, avec des règles établies collectivement“. Au regard des minces raisons du bannissement du DailyMail sur Wikipedia, après des semaines de discussions, il semblerait néammoins que l’affaire soit plus compliquée. Affaire à suivre, donc.
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