Chez Fendi, la haute couture s’est inspirée du Japon et des élégantes de Kyoto cette saison. Kim Jones, le directeur artistique de la maison italienne, a ainsi réinterprété l’incontournable kimono dans son défilé du 7 juillet. L’an passé, c’est Nike qui collaborait avec le label nippon Ambush à travers une collection de prêt-à-porter revisitant cette tenue traditionnelle. Des rues de Kyoto de l’ère Edo (1603-1868) aux artères du Paris d’aujourd’hui, le kimono, pièce emblématique de la culture japonaise, traverse le temps et les continents. L’intérêt que porte l’Occident pour ce vêtement ne date pas d’aujourd’hui. Des podiums aux collections streetwear, cette pièce pluriséculaire, l’un des vêtements les plus codifiés de l’histoire, a été revisitée sous toutes les coutures. Et fait désormais partie de la garde-robe de tout un chacun.


Alors que le kimono a fait son apparition au Japon durant l’époque d’Edo, il s’est très vite répandu en dehors des frontières nippones. Cette culture a inspiré, au milieu du XIXe siècle, les avant-gardes artistiques telles que Claude Monet et son œuvre La Japonaise, en 1876, ou Vincent Van Gogh, qui s’émerveillait devant le pays du Soleil-Levant.

L’exposition Kimono, au Bonheur des Dames au musée Guimet en 2017 a également permis de porter un regard sur l’évolution du kimono à travers le temps.
Les créateurs japonais ont également introduit le kimono en Occident. Kenzo Takada, Issey Miyake ou Junko Koshino ont réinventé le vêtement en le modernisant. “Il y a 20 ou 30 ans, le kimono était perçu comme une pièce venue d’ailleurs. Ces créateurs l’ont employé comme un élément frais dans la mode occidentale, ce qui a participé à le rendre populaire. A la fin de sa carrière, Kenzo Takada avait lancé une ligne de vaisselles et de mobiliers. Il utilisait beaucoup les motifs du kimono dans ses produits. Cette initiative a permis de faire connaître ce vêtement”, relève la journaliste de mode japonaise Harue Suzuki.

Par ailleurs, Yves Saint Laurent, Jean-Paul Gaultier ou John Galliano se sont inspirés à plusieurs reprises des formes, des tissus ou des décors qui reflètent l’identité japonaise. “En ce qui concerne les créateurs français, ils sont toujours en quête de nouveautés. C’est donc tout à fait naturel qu’ils se tournent vers la culture du kimono, pour l’utiliser dans leur propre collection. Ces derniers mettent en avant un sens de l’esthétisme et privilégient la haute qualité de cette pièce emblématique”, développe-t-elle.


Lors de sa collection automne-hiver 1994, Yves Saint Laurent a rendu hommage au Japon en faisant référence aux kimonos. Passionné par le théâtre kabuki, le créateur a transformé le vêtement d’intérieur traditionnel en tenue d’extérieur. Il a remplacé la ceinture (obi) par de la broderie de perles et de rocailles. Tout en conservant la forme du kimono, ce dernier a apporté une touche de modernité à la coupe.

Du kimono authentique vers une réinterprétation occidentale

Après avoir suscité l’intérêt des créateurs, il fait également son apparition auprès des marques mainstream. La pop culture a grandement participé à l’extension du phénomène. “Le kimono est l’expression d’une fantaisie. Son engouement est lié à la culture du manga, du jeu vidéo, voire du cosplay. C’est un vêtement non genré qui convient à tout le monde, peu importe notre morphologie”, souligne Emmanuelle Hyson, directrice artistique du bureau de tendances Leherpeur.

Selon la journaliste Harue Suzuki, le manga est l’un des principaux facteurs d’influence qui a permis de comprendre les marqueurs de la culture japonaise et ses codes vestimentaires.

Son succès grandissant a ouvert le champ des possibles aux marques qui le réinterprètent dans un esprit workwear, streetwear ou bohème. En s’imprégnant de cette pièce iconique, elles proposent de nouvelles silhouettes, à l’instar de la griffe londonienne Ju-nna qui présente dans sa dernière collection une veste croisée fleurie, intitulée Shibori. Des marques françaises contemporaines le réinterprètent telles que Sok Sabaï, Wild Paris ou Hand So.On.

Kaïros Studio (qui signifie en grec l’instant T) est une marque émergente lyonnaise qui s’est récemment lancée dans la fabrication du kimono. La créatrice Audrey Biagi confectionne ses pièces à la main, à partir de tissus français provenant de stocks dormants. Cette dernière a refait la découverte du kimono en allant voir en spectacle des contes japonais pour enfants. Elle a également un fort intérêt pour la gravure, le tatouage et l’histoire du vêtement. Elle explique d’ailleurs que ce sont ces éléments qui l’ont incitée à se rapprocher de l’univers du manga.


Le label Maharishi réinvente également le kimono en reprenant les uniformes de la guerre du Vietnam, avec un col côtelé et deux poches oversize.

Pour sa dernière collection, la marque d’upcycling parisienne Sok Sabaï, qui signifie “ça va bien” en cambodgien – a lancé son kimono Ray sur le thème de l’amour et de la complicité. Une veste unisexe en denim, avec une coupe droite et oversize.

Hormis la pop culture, l’intérêt du kimono passe également par le sport. Les Jeux olympiques de Tokyo 2021 ont souligné son importance au niveau international. Pour cette occasion, de nombreux créateurs et artisans tels que Yoshimasa Takakura ou l’artiste Miwa Komatsu se sont mobilisés pour créer une série de kimonos qui représentaient chaque pays participant.

Le judoka français Teddy Riner a récemment annoncé le lancement de sa propre marque de kimonos, Fightart. Le sport est devenu un vecteur de diffusion de cette culture. A travers les arts martiaux (le judo ou le karaté), ce vêtement s’est répandu dans le monde entier. Plus de 15 millions de judokas et 110 millions de karatékas endossent leur kimono avant d’aller sur les tatamis. Il incarne aujourd’hui l’identité nippone.

Le voyage constitue également une porte d’entrée vers la culture japonaise. De nombreux visiteurs ont pris connaissance du kimono en assistant par exemple à la cérémonie du thé.


Fondée en 2013 sous le nom d’Amenapih, Wild Paris est associée à la marque Hipanema. Wild, qui signifie sauvage en anglais, est une marque faisant référence aux voyages. Elle s’inspire des vêtements fabriqués en Inde, dans la région du Kerala, et réinterprète le kimono à travers la culture indienne. Son objectif est de valoriser la technique du Kerala, brodée de fibres laineuses. La marque aime travailler avec des ateliers de différents pays, en fonction de la spécificité de la matière ou du vêtement.

Elle voit le kimono comme un vêtement intemporel: “La mode est un éternel recommencement. Il ne faut pas oublier que ces pièces ont traversé le temps”, explique les cofondatrices Delphine Crech’riou et Jenny Collinet. Vendu l’hiver comme l’été, ce kimono revisité aurait un franc succès depuis le lancement de la ligne il y a trois ans.

Un vêtement qui s’inscrit dans une mode durable

“Le kimono traditionnel se transmet de génération en génération. Il s’agit d’un produit que l’on conserve jusqu’à ce qu’il soit en fin de vie. Transformé en chiffon à la fin de son cycle, le tissu s’inscrit ainsi dans une mode durable”, raconte Harue Suzuki.

Pour redonner vie à ces matières, Hand So.On, qui se traduit par “l’histoire continue”, récupère auprès de ses fournisseurs indiens des saris anciens en crêpe de soie. Les tissus sont récoltés par les antiquaires dans les villages, qui achètent les trousseaux à des femmes. Un sari mesure 5 mètres 50. Avec cette longueur, le label peut réaliser deux kimonos.

Mais parfois, seule l’inspiration vient d’extrême orient. La veste croisée en diagonal de la marque française n’a en effet du kimono que le nom et la forme, qui est retenue par les épaules. Chaque pièce est numérotée et unique. Une fois reçu, le sari est découpé à la main au Maroc. La robe ceinturée se dessine en fonction du motif du tissu. “C’est un processus qui est long et qui demande beaucoup d’attention. Parfois les saris ont des trous ou des taches et les couturières marocaines font donc des points avec du fil de sabra (fil de soie) ou positionne le patronage en fonction des défauts”, détaille la fondatrice Guylaine Tilleau, ancienne rédactrice de mode chez L’Officiel.

La fondatrice de Sok Sabaï, Sovandy Kong, propose différents styles de kimonos en séries limitées (cinq pièces maximum) ou en pièce unique. Elle promeut un savoir-faire qui va dans le sens d’une mode responsable. La production est française et les ateliers sont situés entre Paris et la Bourgogne. Sok Sabaï met l’accent sur une mode élégante et raffinée, empreinte de sensualité. Les matières convoitées sont la laine, le lin ou le brocart. Elle se définit comme principalement féminine et puise son inspiration dans le cinéma des années 1930, où les femmes portaient des kimonos.


Wild Paris fabrique ses produits principalement en Asie (en Chine, Inde, Thaïlande…), ou au Portugal. Toutes les pièces sont faites à la main et le nombre de séries est très limité. Pour concevoir 150 pièces, la marque a besoin d’environ sept à huit mois.

De plus en plus de marques réinterprètent cette pièce iconique dans un esprit workwear, streetwear ou bohème. Cette manifestation culturelle est aujourd’hui fortement liée à une tendance d’achat de produits vintage. Selon Emmanuelle Hyson, “il s’agit d’un vêtement simple que l’on conserve longtemps dans sa garde-robe, qu’on aime dénicher en friperie et qui développe notre créativité. Le kimono est devenu le nouveau bleu de travail.”

La journaliste Harue Suzuki explique à FashionNetwork.com qu’au Japon, “même l’haori est en soie et il coûte cher. Il est réinventé aujourd’hui dans des tissus synthétiques. Alors que quand il est développé dans le contexte européen, les marques occidentales n’ont pas connaissance des codes stricts autour de ce vêtement. Cette réinvention est plutôt positive même s’il ne s’agit pas du kimono authentique. Dans le métro en Europe, j’ai vu un jeune homme qui portait un t-shirt, un jean et une paire de baskets, avec un kimono. Je trouvais cela très audacieux mais je me suis dit que cela pouvait fonctionner.”

C’est aussi l’avis des fondatrices de marques comme Wild Paris ou Hand So. On. La créatrice de la marque d’upcycling, reprend des saris de seconde main pour en faire de nouveaux vêtements: des kimonos que l’ont peut porter au quotidien. La créatrice s’est spécialisée avec un kimono long, un kimono robe et un kimono chemise. Il s’agit en fait d’un sari revisité qui est en réalité une robe croisée avec un système d’attache (une ceinture) qui rappelle le kimono, d’où son nom, mais qui n’a aucun lien avec la culture japonaise.

“C’est une pièce que l’on retrouve partout aujourd’hui, un peu comme le fait d’avoir un trench”, relève Sovandy Kong la créatrice de la marque Sok Sabaï, avant d’ajouter:  “Il s’agit d’un vêtement fantasmé, facile à réinterpréter, avec modestie, sans tomber dans la réappropriation culturelle. Cela me fascine, car il véhicule beaucoup de messages. Bien que sa structure en T soit très facile à reproduire, il faut jouer sur les détails et retravailler les lignes.”

C’est donc cela la nouvelle essence de cette pièce. Le kimono est un vêtement pluriel qui peut laisser place à de multiples interprétations. C’est une pièce du vestiaire fluide qui s’adapte à de nombreux marchés du textile (prêt-à-porter, lingerie ou bain). C’est un produit fortement lié à l’artisanat et aux techniques traditionnelles.

Il peut exprimer l’envie de voyage ou le besoin de se rapprocher d’une culture lointaine, dans un esprit folk ou bohème. Facile à porter et à assortir, ce vêtement est autant perçu comme une œuvre d’art qu’un vêtement casual.


Selon Harue Suzuki:  “Au Japon, le kimono se porte très peu, hormis pour des occasions très spéciales, alors qu’en Europe, la mode du kimono se développe beaucoup. Il est démocratisé, car les Français n’ont pas connaissance des codes liés à ce vêtement. Ils l’emploient et le réinventent librement (ce qui n’est pas une mauvaise chose), car il n’y a pas de tabou, ni de traditions japonaises. Au Japon, on ne peut pas se le permettre.”

Il n’en reste pas moins que ce vêtement a encore un poids conséquent au pays du Soleil-Levant. En 2019, le marché du kimono avait atteint un montant de 1,896 milliard d’euros (soit 260,5 milliards de yens), selon le Yano Research Institute.

Devenu un fantasme, le kimono, soumis à des règles strictes dans son pays d’origine, se porte plus facilement en Occident. Libéré de sa bienséance, il est réinterprété dans plusieurs styles et fait aujourd’hui partie du quotidien. Peut-être ce phénomène permettra-t-il au Japon de porter un autre regard sur ce vêtement et d’en avoir un usage moins coutumier?
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