En ce début février 2021, Caroline Harper est dans le sud de la France, et elle a un « problème » : « je dois reprendre l’avion très vite vers les Etats-Unis car après l’article de Southern Living, on est totalement débordés par les demandes« . Effectivement, avoir un article sur soi en introduction du grand magasine de la vie sudiste, ça a un impact immédiat ! Si le magazine a parlé de Caroline, c’est pour son métier : elle est artiste et artisan à l’aide d’une teinture indigo qu’elle fabrique elle même. Mais commençons par le commencement !
Caroline Harper est originaire de Nantes, en Bretagne. « Je suis venue au pair en Caroline du Sud, j’ai fait des études d’art et de graphisme à l’Université de Caroline-du-Sud, et ça fait trente ans que j’habite à Columbia. Un jour je me suis intéressée à l’indigo et je suis partie au Japon faire un stage de shibori, les techniques ancestrales de teintures japonaises, avec un maître canadien. Ensuite j’ai commencé à acheter le pigment sur internet et à travailler. Il faut savoir que le drapeau bleu de la Caroline du Sud représente des champs d’indigo, et je me suis ainsi rendue compte qu’on n’avait plus du tout de plantations en Caroline. Alors en 2015 on a commencé à planter de l’indigo – au départ 200 ou 300 pieds – dans le champ d’un ami au sud de Charleston. On a trouvé quelques méthodes de traitement, et la première année on avait mis trop de calcaire pour provoquer la réaction. Résultat, c’était horrible, tout était gris ! Mais depuis on a beaucoup évolué : nous avons trois endroits où nous plantons, et notre bleu est magnifique ! Nous réalisons trois récoltes par an : en août et septembre on coupe la plante à moitié, et elle repousse. Et en octobre on coupe tout. » Et quelle est la différence entre le pigment naturel et l’indigo de synthèse ? « C’est beaucoup plus naturel, organique, le rendu est très différent. » Les récoltes se font avec des stagiaires, des personnes qui viennent contempler le résultat. Evidemment, une telle renaissance d’une culture emblématique de la Caroline du Sud ne pouvait passer inaperçue auprès des journalistes locaux. C’est ainsi que Caroline Harper a commencé à acquérir cette célébrité dans le Sud.
« Ce mois-ci nous déménageons à Charleston pour être plus proches des cultures », explique Caroline. « Et nous pensons ouvrir une boutique en ville ». Ca tombe bien, Charleston est symbole de couleurs, notamment grâce à sa rue la plus célèbre et arc-en-ciel : le Rainbow Row ! Et comment aborde-t-on l’histoire pour le moins triste des plantations ? « A chaque fois que nous avons une démonstration, mon mari rappelle l’histoire locale de l’indigo, y compris les plantations avec les esclaves.«
Travailler l’indigo, c’est travailler avec un petit supplément d’âme – l’âme bleue, pourrait-on dire pour paraphraser les musiciens du sud – et c’est ce que Caroline – la Caroline de la Caroline – fait à merveille sur les écharpes en soie, boucles d’oreilles en porcelaine et indigo, serviettes de tables, set de tables, chemins de tables, paniers en coton et indigo…
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Durant l’Antiquité, la seul manière pour les Européens d’obtenir une teinte bleue pour leurs arts ou leurs vêtements, c’était l’importation d’une plante d’Inde. D’où son nom : l’indigotier. En faisant mariner ses feuilles et branches avec du calcaire, ils obtenaient une réaction et pouvaient alors séparer l’eau de la poudre colorante bleue. En France on utilisera ensuite la culture du « pastel », notamment produit dans la région du Lauraguais (entre Toulouse et Albi) pour fabriquer des teintures. Mais la mondialisation ruinera cette industrie dès le XVIIe siècle : il se trouve que les « Indiens » d’Amérique utilisent eux aussi l’indigo (celui des Indes non-indiennes !). Son bleu est plus profond que le pastel Français – les artistes mayas l’ont prouvé – mais aussi et surtout… il est moins cher à produire… même si on y ajoute le coût de transport en bateau (un peu comme les t-shirts Made in China de nos jours). Aussi bien les Espagnols que les Français et les Anglais se mettent alors à produire l’indigo dans leurs colonies d’Amérique du Nord, Centrale, et des Antilles, et avec un petit secret pour faire tomber le prix de production… les esclaves ! En effet, lis ne travaillaient pas que dans les champs de coton ou les rizières d’Amérique : ici, dans le sud des (futurs) Etats-Unis et en particulier en Caroline-du-Sud, l’indigo était fort développé. Du bleu des plantations au blues qui s’échappait de la tristesse des chanson d’esclaves… il n’y avait pas un très long chemin.
Il y en avait partout dans le sud de l’indigo, notamment des « indigoteries » créées par les Français en Louisiane. Mais c’est autour de la Caroline du Sud et de Charleston que la culture se développa le plus. Sa culture était complémentaire de celle du riz. Les esclaves maîtrisaient tout le procédé, de la plantation jusqu’à la transformation. La teinture servit entre autres pour les uniformes de l’Armée Continentale (celle de George Washington et de ses indépendantiste). Mauvaise idée : sitôt les tuniques bleues ayant chassé les Anglais, ces derniers sont alors retournés chercher leur indigo dans d’autres colonies plus orientales, ce qui fit péricliter les cultures de Caroline. Aux alentours de 1802, elles n’exportaient plus rien du tout.
En 1867, le chimiste allemand Adolf von Bayer découvre la structure de l’indigotine, et il se promet de trouver une méthode de synthèse. Trente ans plus tard, Bayer met enfin « l’indigo pur » sur le marché. Il faudra encore attendre quelques décennies pour que soient devenues totalement obsolètes les cultures qui se sont développées dans les colonies. Mais la coloration un peu approximative à l’aide de l’indigo n’a pas totalement disparu. Elle fut ainsi notamment conservée dans l’univers du textile grâce à un objet typiquement américain. Devinez lequel ?! Quand vous mélangez le produit des plantations de coton avec celui des plantations d’indigo, vous obtenez…. le blue jeans ! Il a été popularisé à l’international dans les années 1950, au moment où précisément l’indigo se faisait voler la vedette par les molécules de synthèse ! Mais, il est difficile, même pour les meilleurs chimistes, de concurrencer l’intensité de l’indjgo !
Visiter Charleston : notre guide d’une des plus belles villes du Sud des Etats-Unis (en Caroline du Sud) !
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