Ce principe rappelé au journaliste de Al Jazeera, le président en vient à la liberté d’expression, expression qui, dans l’entendement des musulmans, ne doit pas englober la liberté de blasphème. « Et dans nos lois, nos principes, nos droits, il y a les libertés de chacun, la liberté de culte que j’évoquais, que nous défendons et qui s’exerce dans notre pays, mais aussi la liberté de conscience et la liberté d’expression. Ça veut dire que dans notre pays, la France, quiconque qui est journaliste peut s’exprimer librement sur le Président de la République, le Gouvernement, la majorité politique comme la minorité et sur le reste du monde. Dans cette liberté d’expression, il y a la possibilité aussi de dessiner, de caricaturer. Ça, c’est notre droit. Il vient de loin, de la fin du XIXème siècle. Il est important de le défendre parce que c’est celui que veut le peuple français, et nous sommes dans notre pays souverain. Ce droit a conduit à ce qu’il y ait des caricatures dans des journaux, et nous avons aussi une histoire. Et ces caricatures se sont moquées des dirigeants politiques, votre serviteur le premier, et c’est normal, et de beaucoup de religions, de toutes les religions ».
Et le président français d’en venir directement à Charlie Hebdo. « Et lorsqu’on parle de caricatures, je veux que vous sachiez que beaucoup de titres de presse, Charlie Hebdo puisqu’on en a beaucoup parlé, ont surtout d’abord et avant tout caricaturé le dieu des chrétiens, caricaturé la religion juive, les rabbins, etc., et aujourd’hui, depuis plusieurs années, en effet, caricaturent le prophète Muhammad, caricaturent en effet la religion aussi musulmane ».
Concernant les musulmans, Emmanuel Macron dit comprendre leur sentiment, le respecter tout en leur demandant de comprendre le rôle qui est le sien: « Mon rôle est d’apaiser les choses, comme je le fais là, mais c’est en même temps de protéger ces droits. Et il y a une différence qui est importante que tous les musulmans qui ont pu être choqués doivent comprendre. La question n’est pas de savoir si la France, et la représentant, le Président de la République française, fait ses caricatures ou les soutient en tant que telles – ce n’est pas le sujet parce que cette presse est libre, ce ne sont pas des journaux officiels, ce n’est pas le Gouvernement français qui a fait ces caricatures – mais si le Président de la République en France est d’accord pour supprimer ce droit : la réponse est non parce que c’est un droit du peuple français et il touche tout le monde. Et donc ce qui est important, c’est que je dois préserver cette liberté. Je veux ensuite que tout ça se fasse dans le respect de chacune et chacun, mais cette liberté est importante ».
Mais, poursuit Emmanuel Macron, « il y a deux choses que je ne peux pas accepter. La première, c’est la confusion qui a été entretenue par beaucoup de médias, parfois des dirigeants politiques et religieux, qui consisterait à dire que ces caricatures sont en quelque sorte le projet ou l’émanation du Gouvernement français ou du Président de la République. Non, moi, je suis là pour préserver ce droit et je le préserverai toujours. Mais il y a des gens qui l’exercent, c’est ainsi. Et la deuxième, c’est qu’on puisse justifier de manière directe ou indirecte quelque violence au nom de cette réaction. Je ne suis pas spécialiste de théologie, mais je n’ai pas compris que l’islam légitimait ou soutenait le recours à quelque violence que ce soit. Et donc je comprends et respecte qu’on puisse être choqué par ces caricatures, mais je n’accepterai jamais qu’on puisse justifier une violence physique pour ces caricatures et je défendrai toujours dans mon pays la liberté de dire, d’écrire, de penser, de dessiner. Ça ne veut pas dire que je soutiens à titre personnel tout ce qu’on dit, pense, dessine, mais ça veut dire que ces libertés, ces droits de l’homme qui ont été pensés, voulus, créés en France, je considère que c’est notre vocation de les protéger et de protéger aussi la souveraineté du peuple français qui le veut ».
Réponse du président Macron: « Alors, je viens de vous l’expliquer. Mais d’abord, il y a eu sur la phrase que vous venez de dire, et je vous remercie de l’avoir littéralement citée, il y a eu dans les traductions qui ont été faites par beaucoup de médias dans le monde arabe, que j’ai vues sur les réseaux sociaux, un mensonge. On m’a fait dire : « Je soutiens les caricatures humiliant le prophète ». Je n’ai jamais dit ça, d’abord parce que ces caricatures, et c’est important pour tous les musulmans qui nous écoutent, ces caricatures, elles touchent toutes les religions, toutes, il n’y a pas de caricatures spécialement contre une religion plutôt qu’une autre, et au-delà de ça tous les dirigeants. La deuxième chose, c’est que j’ai dit que je protégeais ce droit parce que c’est mon rôle et que je considère ensuite que dans la société, nous devons accepter, ménager ce respect de chacune avec chacun. Mais il ne m’appartient pas à moi, en tant que Président de la République, d’amoindrir ce droit parce que certains sont choqués. C’est ça que je voudrais que vous compreniez parce qu’à ce moment-là, j’instaurerais dans mon pays une forme d’ordre moral ou d’ordre religieux. Je dirais aux gens qui écrivent ou qui dessinent : « Vous n’avez pas le droit de dire cela parce que ça en choque d’autres. » Et de proche en proche, la liberté d’expression se réduirait parce qu’elle deviendrait l’espace qui fait qu’en quelque sorte, on ne parle plus les uns des autres. Et c’est toute la difficulté du projet qui est le nôtre collectivement, et je crois à ce qui est le projet des Lumières, des valeurs que nous portons, qui n’est pas simplement de coexister côte à côte, mais qui est d’accepter de nous commenter les uns les autres dans le calme, dans le respect auquel je crois, de parfois nous moquer les uns des autres, quelle que soit notre religion ou notre philosophie, mais d’accepter de le faire dans un cadre de respect et un cadre pacifique. Et par rapport à la phrase que vous citiez, les réactions du monde musulman, je crois d’abord ont été dues à beaucoup de mensonges, au détournement que j’ai évoqué, et au fait que les gens ont cru comprendre que moi, j’étais favorable à ces caricatures. Je leur dis : ça n’est même pas la question. Moi, je suis favorable à ce qu’on puisse écrire, penser, dessiner librement dans mon pays parce que je pense que c’est important, que c’est un droit, ce sont nos libertés. Je comprends que ça puisse choquer, je respecte cela, mais il faut en parler. Il faut en parler. Il faut construire cet espace de respect et de compréhension mutuelle. Mais je pense que la solution n’est pas d’interdire ce droit, et la solution est évidemment encore moins de justifier quelque violence au nom du fait qu’il choque ».
Emmanuel Macron: Non, je vous l’ai dit, d’abord c’est faux factuellement et ça n’est pas vrai dans cette histoire. Les catholiques de notre pays ont parfois été aussi beaucoup choqués par ce qu’ils avaient vu, je sais que les juifs ont pu l’être, et donc il faut en discuter. Vous savez, quand ça vous touche vous- même, je ne parle pas là des caricatures d’une religion, mais en tant que dirigeant, ça peut ne pas vous plaire, mais ce n’est pas parce que quelque chose ne vous plait pas ou vous choque que ça justifie la violence, une fois encore. Mais je n’accepte pas l’idée qu’il puisse y avoir une forme de stigmatisation. C’est faux. Et je veux aussi insister sur le fait que la liberté d’expression est quelque chose de beaucoup plus large que la simple caricature, mais elle est là.
Donc voilà, je pense qu’il ne faut pas tomber dans une espèce de provocation contre provocation. Je voulais vous redire la vérité des choses, à la fois l’histoire. Ces dessins sont faits en France, ça n’est pas la loi de l’islam qui s’applique en France, c’est la loi du peuple français souverain. Et il en décide, et en particulier ces lois viennent du 19è siècle. Qui serais-je pour dire parce qu’une religion a un problème avec telle représentation ou tel mot : je dois interdire ? Je ne peux pas le faire et je pense que ça n’est pas ma vocation. Et donc ce que je veux c’est qu’ensemble, et c’est pour ça que c’est un message de… je veux lever les mensonges et les ambiguïtés, et je veux dire à tous les musulmans du monde : il y a dans vos pays des choses qui ne plaisent pas forcément à certaines religions ou peut-être aux ressortissants de mon pays, vous attaquent-ils parce que cela ne leur plaît pas, parce que cela les choque ? Non. Nous devons apprendre à nous connaître les uns les autres, à comprendre d’où nos lois, d’où nos habitudes viennent. Mais il n’y a rien qui dans ces caricatures, dans cette liberté d’expression est fait contre une religion quelle qu’elle soit, et en particulier contre l’islam. Mais il y a l’importance dans notre pays — et beaucoup de pays, moi je le vois aussi avec une certaine tristesse, beaucoup de pays dans le monde ont renoncé à la liberté d’expression ces dernières décennies parce qu’il y a eu des polémiques, par la peur, par le chaos justement des réactions. Et donc on a une forme de réduction de cette liberté de dessiner, de discuter, parfois de provoquer qui je crois est grave pour notre liberté à tous. Donc croyez dans une chose, ici en particulier votre serviteur en tant qu’il est Président de la République française, respecte tous les concitoyens de France mais tous les citoyens du monde, quelle que soit leur religion. Et je suis attaché à ce respect.
Mais je veux que vous compreniez ce qu’est l’exercice de cette liberté qui vaut en France et dans d’autres pays et qu’une marque de mon respect c’est aussi de traiter les musulmans comme toutes les religions, d’essayer d’installer cet espace de respect qui peut accepter l’humour, le décalage. À moi de dire quand les choses parfois choquent, mais pas pour les interdire ou les réduire, pour qu’on puisse en parler.
Emmanuel Macron: Oui, je vous confirme.
Emmanuel Macron: Alors vous confondez deux choses : l’histoire, le respect des peuples entre eux et les religions. La France combat l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes et l’antisémitisme en tant qu’elle est l’attaque, la remise en question, la haine contre un peuple, mais contre tous les peuples. L’antisémitisme et le racisme en France sont combattus et interdits par la loi. Et donc il n’y a pas que l’antisémitisme, ce serait faux, tous les racismes le sont. Mais de la même manière, en France, on a le droit de caricaturer pour reprendre ce qu’on évoquait à l’instant, de critiquer la religion juive, comme toutes les religions. Donc il n’y a pas un double standard, il n’y a pas un double statut. C’est faux, c’est faux. Il y a en France une loi qui pénalise en effet le révisionnisme historique parce que beaucoup de gens ont construit l’antisémitisme sur la négation de ce qu’était la Shoah. C’est un fait historique. Mais en France, nous n’accompagnons qu’un fait historique. Allez chercher dans d’autres pays le refus de voir tel ou tel génocide ou d’enseigner telle ou telle épreuve de l’histoire, pas en France. Nous reconnaissons les choses, y compris d’ailleurs les crimes que nous avons nous-mêmes commis. Je le rappelle, il y a maintenant 25 ans, Jacques CHIRAC a reconnu la responsabilité de l’Etat français pour ce qui était de la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons nous-mêmes reconnu ce qui avait été fait au titre de l’esclavage et du colonialisme. Donc la France regarde son histoire en vérité, mais elle entend que chacun le regarde et que la haine ne se nourrisse pas d’une histoire revue, corrigée ou fausse. Et après, ce n’est pas le Gouvernement qui fait l’histoire, ce sont les historiens. Toutes les formes de racisme et d’antisémitisme sont combattues en France de par la loi. Après est-ce que ça veut dire qu’il n’en existe pas ? Il en existe et c’est un fléau terrible et nous luttons contre celui-ci. J’ai demandé au Gouvernement de faire encore davantage dès le début de mon mandat, et d’ailleurs mes prédécesseurs, quelle que soit leur sensibilité politique, l’ont aussi fait, à la fois parce qu’il y avait beaucoup de violence qui ont été faits contre les Juifs en France depuis ces dernières années, mais parce qu’il y a aussi des actes qui sont commis au nom du racisme et qui sont inacceptables. Nous combattons de la même manière tous ces actes. Après il y a la possibilité, je le disais, de critiquer les religions. Et puis, il y a les actes que certains font contre certaines religions. Et là je vais être très clair, je souhaite que nous soyons intraitables. Mais il y a en France aujourd’hui, au moment où je vous parle, des gens qui commettent des actes contre les musulmans parce qu’ils sont musulmans, contre les catholiques parce qu’ils sont catholiques, contre les protestants parce qu’ils sont protestants, contre les juifs parce qu’ils sont juifs, et j’en passe. Et donc j’ai souhaité que le ministre de l’Intérieur puisse confier à un parlementaire en mission, justement, cette responsabilité d’identifier, de suivre, de bâtir une transparence sur tous les actes qui sont faits contre nos concitoyens sur notre sol en raison de leur religion.
Elle est indigne et je la condamne. Mais elle est faite par certains groupes privés parce qu’ils n’ont pas compris et qu’ils se sont reposés sur les mensonges, sur les caricatures, parfois par d’autres dirigeants. C’est inadmissible. Parce que vous comprenez qu’est-ce qui est en train de se passer sur le sujet des caricatures ? Parce qu’en France, qui est un pays souverain, je décide que le droit, la loi voulue par le peuple souverain est appliquée, que moi-même j’ai des mots d’apaisement, mais que je dis ce droit je ne vais pas y renoncer parce que ce serait inconstitutionnel et ce serait une perte de souveraineté pour nous terrible, pour cela, parce que les gens confondent cette position qui est, à mon avis, est inattaquable avec le fait de les soutenir, ils se mettent à attaquer un État.
Mais je le dis aussi à beaucoup de dirigeants, en France la presse est libre. Dans beaucoup de pays qui ont appelé au boycott, il n’y a plus de presse libre, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de possibilité de caricaturer mais pas seulement le prophète ou Dieu ou Moïse qui que ce soit, mais les dirigeants mêmes du pays. On fait parfois la caricature de dirigeants étrangers, pas du pays où l’on vit parce qu’on a cassé les mains des caricaturistes ou des dessinateurs, parce qu’on a parfois tué des journalistes ou qu’on les a mis en prison. Ça n’est pas le cas de la France. Et donc quand un journal en France dit quelque chose, ce n’est pas la position du Gouvernement. Et décider du boycott d’un pays, d’un peuple, parce qu’un journal a dit quelque chose dans notre pays, est fou. Ou c’est juste transposer ce qui vaut dans certains pays mais pas chez nous et pas dans le monde libre parce que la parole d’un journaliste n’est pas une parole de propagande. Il n’y en a plus chez nous et je m’en félicite.
Je pense que tous les dirigeants politiques et religieux qui ne condamnent pas avec la plus grande clarté toute forme de violence à l’égard de la France qui est un pays de liberté et de Lumières, prennent une responsabilité parfois directe, en tout cas indirecte certaine sur les violences qui seraient commises à l’égard des Français en France ou à l’étranger. C’est pourquoi avec le message d’amitié et d’apaisement que je voulais faire aujourd’hui, c’est aussi un message d’appel à la responsabilité. J’ai vu trop de gens ces derniers jours dire des choses inacceptables sur la France, corroborer tous les mensonges qui étaient dits sur nous, sur ce que j’avais pu dire, et être les complices tacites du pire. Vous savez, je veux que vous compreniez ce que nous sommes en train de faire en France. Depuis plusieurs années, nous combattons le terrorisme, avec force. Il a coûté la vie à plus de 300 de nos concitoyens et parfois d’étrangers qui vivaient sur notre sol. Ce terrorisme qui est fait au nom de l’islam est un fléau pour les musulmans du monde entier. Vous le disiez vous-même tout à l’heure. Vous savez, quand on regarde les chiffres qui aujourd’hui font autorité, si on prend les 40 dernières années dans le monde, plus de 80 % des victimes de ce terrorisme sont des musulmans. Lorsque des jeunes filles sont enlevées au Nigeria par des groupes au nom de l’islam, ce sont ces jeunes filles dont les familles sont musulmanes qui en sont les victimes. Lorsque telle maternité est bombardée, lorsque… Je pourrais citer des dizaines d’exemples. Les principales victimes du terrorisme fait au nom de l’islam sont les musulmans. Ce terrorisme, nous le combattons parce qu’il nous frappe sur notre sol. Et il y a ensuite une deuxième catégorie que j’ai décidée de combattre, et là-dessus il y a eu des incompréhensions parce qu’il y a eu un problème de traduction. C’est ce qu’on appelle en France l’islamisme radical. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce sont les extrémistes violents qui détournent la religion et qui commettent des violences au sein de l’islam. Et on a traduit ce combat que je menais comme étant un combat contre l’islam. Non, au contraire. La France est un pays où il y a plusieurs millions de nos concitoyens dont la religion est l’islam. Je ne vais pas les combattre. Ils sont pleinement citoyens, ils veulent vivre en paix. Et nous avons des pays amis partout dont la religion majoritaire est l’islam. Mais aujourd’hui, au nom de l’islam et détournant cette religion, des extrémistes violents font le pire. Et ils ne sont pas terroristes. Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ils déscolarisent des enfants, ils les endoctrinent et ils justifient la violence. Sur notre sol en France, ils agissent en connexion avec des groupes à l’étranger. Et donc ce à quoi nous nous sommes attelés depuis trois ans avec beaucoup de force, c’est justement d’essayer de réduire leur emprise pour protéger notre peuple et pour protéger, entre autres aussi, les Français de confession musulmane parce qu’ils nourrissent progressivement un sentiment qui peut être nocif pour eux, l’amitié justement entre les religions. Parce que comme tout ça se fait au nom d’une religion il y a une incompréhension qui naît. Et donc ce que j’ai réaffirmé dans le discours des Mureaux au début du mois d’octobre, c’est ma détermination par un projet de loi qui arrive, qu’on a appelé séparatismes mais je veux lever les ambiguïtés, qui est un projet de loi pour lutter contre ces groupes et ces personnes extrémistes violents qui agissent au nom de l’islam. C’est protéger toutes les Françaises et les Français et plus largement et en particulier ceux dont la religion est l’islam. Et donc qu’est-ce que nous allons faire ? Les empêcher de déscolariser des enfants de la République, nous allons empêcher qu’il y ait des financements liés avec des activités terroristes qui viennent leur permettre de mener leurs activités. Donc on va créer de la transparence financière.
Et on va surtout s’assurer, ce qui pour moi est essentiel en France, que toute personne quel que soit son culte — ce n’est pas mon sujet — quelle que soit sa religion, mais respecte pleinement les lois de la République française. Ça c’est essentiel. Et donc c’est ça ce que nous sommes en train de faire. Mais moi je veux faire la séparation entre ces extrémistes qui commettent le pire ou justifient le pire, parfois dans des discours très sophistiqués et dangereux, avec les musulmans. Et partout ces dernières semaines dans le monde musulman, on a essayé d’agréger les deux en déformant mes propos, en me faisant mentir, en disant le Président de la République française et donc la France ils ont un problème avec l’islam. Non, nous nous n’avons aucun problème avec l’islam, aucun. Notre histoire d’ailleurs intellectuelle, culturelle, est intriquée avec l’islam. Nous sommes un des premiers pays qui a traduit le Coran. A la Sorbonne en France, depuis le 17e siècle, on le traduit, on l’enseigne, il y a des controverses importantes qui s’y sont tenues. Nous sommes un des premiers pays à avoir ouvert dans le cœur de la capitale une magnifique mosquée, la Grande Mosquée de Paris. Et interrogez nos représentants religieux, le président du Conseil français du culte musulman, le recteur de la Grande mosquée, ils vous diront la même chose que ce que je viens de vous dire. Et donc le combat dans lequel nous sommes engagés qui est un combat pour nos générations essentiel, c’est un combat contre le terrorisme, contre l’extrémisme violent et tous les discours de justification de cette violence au nom de l’islam mais pour protéger nos concitoyens dans tous les pays du monde, quelle que soit leur religion, y compris les musulmans.
Emmanuel Macron: Ce que je viens d’évoquer à l’instant. Vous avez raison de dire que cette phrase a été sortie de son contexte et d’un discours de 70 minutes. Mais ce que j’ai voulu dire très clairement, c’est qu’aujourd’hui il y a dans le monde des individus qui, au nom de cette religion, la déforment en prétendant défendre cette religion, tuent, assassinent, égorgent et ont un discours justifiant une forme de sortie du reste du monde de groupes humains. Et qu’il y a aujourd’hui une violence qui est portée par des mouvements, des individus extrémistes au nom de l’islam. Et c’est un problème évidemment pour l’islam parce que les musulmans en sont les premières victimes, j’en rappelais les chiffres, plus de 80 %, et c’est un problème pour nous tous. Et donc toutes les religions ont vécu ce type de crise dans leur histoire.
Emmanuel Macron: la crise, elle est au sein de nos sociétés parce que nous avons partout des individus qui, au nom d’une religion, d’ailleurs souvent en la connaissant mal, avec la complicité parfois de gens qui la connaissent mieux ou prétendent mieux la connaître, commettent le pire: des actes terroristes, des actes d’une grande violence et des projets politiques qui sont complètement contraires à nos valeurs et à la capacité à vivre ensemble. C’est ce qui va justement de ces extrémistes violents jusqu’au terrorisme. Ces personnes-là sont un danger pour nos sociétés et nous le vivons. Elles sont un danger parce que la Tunisie a vécu dans sa chair des attentats qui ont été faits par justement, ces terroristes au moment du Bardo. L’Algérie a vécu il y a plusieurs décennies des attentats terribles qui ont été faits par des extrémistes au nom de cette religion. L’Afghanistan a vécu cela. Aujourd’hui, le Sahel le vit et l’Afrique subsaharienne et nos sociétés le vivent. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. Ces gens-là ne le font pas au nom d’autre chose. Et donc, c’est aussi pour cela que le moment que nous vivons est si important que j’ai voulu m’adresser à vous. Parce que je pense qu’il est absolument vital pour nous tous que tous les musulmans du monde soient extrêmement lucides sur cette situation et aident toutes celles et ceux qui veulent se battre contre la violence. Il n’y a rien qui la justifie. Et qu’ils doivent tous se grouper derrière des initiatives que nous devons prendre pour justement combattre avec clarté non seulement les terroristes, mais ceux qui bâtissent des idéologies qui justifient le terrorisme. Et pour moi, il y a un élément clé de la bataille que nous menons, c’est qu’au fond s’est développé une idéologie dans le monde qui, en détournant une religion, est devenue une idéologie de mort. C’est ça, l’extrémisme violent, au nom de l’islam. C’est ça ce qu’a fait Al-Qaïda. C’est ça ce que fait Daesh. C’est ça ce que fait, justement, ce que font les groupements d’État islamique au Grand Sahara et plusieurs autres. Et donc, tous ces groupes terroristes ont derrière aussi des gens qui se disent prédicateurs, des intellectuels, des organisateurs, y compris dans nos sociétés qui, parfois tiennent des discours qui semblent à la limite de l’acceptable, mais qui justifient ce recours à la violence. Et donc, nous devons tous avoir nos lignes rouges. Et en particulier la condamnation claire de toute violence est une ligne rouge. Et quand je vois aujourd’hui des dirigeants, je vous le redis, politiques ou religieux qui justifient des décapitations ou le terrorisme lorsqu’ils considèrent qu’ils sont humiliés ou qu’ils sont blessés par un dessin, ces gens-là choisissent leur camp. Ces gens-là, au moment de clarification, nous nous parlons, ils ne défendent plus les musulmans du monde, ils défendent les terroristes et justifient leurs actes. Nous devons avoir cette clarté tous ensemble. Et je le dis parce que c’est aussi avoir un message de vérité à l’égard de tous les musulmans du monde et un message de protection parce qu’ils sont les premiers menacés par cette dérive. Donc, voilà ce que j’ai voulu dire à travers cette formule. Il y a aujourd’hui une idéologie avec des femmes et des hommes qui, au fond, ont une logique de mort et qui, en déformant une religion, en la détournant, justifient le crime et justifient la volonté de ne plus vivre ensemble.
Emmanuel Macron: Bien sûr, parce que tout ça a un impact sur nous. Parce que les Français de confession musulmane, ils regardent vos médias parfois, on doit le dire, donnent une certaine image de violence et les contre-vérités qu’il y a partout sur les réseaux. Et donc, on a tous une responsabilité pour les apaiser. Vous aussi, c’est pour ça que je suis là. Importante, votre chaîne, vos réseaux sociaux parce que parfois, on a l’impression qu’on ne vit pas dans le même monde. En tout cas, qu’on ne met le projecteur sur une chose. L’Etat français ne connaît pas de religion. La société française les accueille toutes. Et donc, toutes les Françaises, et tous les Français doivent pouvoir vivre calmement leur religion. Et toutes les Françaises et tous les Français, quelles que soient leurs origines, quelles que soient les autres nationalités qu’ils peuvent partager, doivent respecter absolument toutes les lois de la République. C’est comme ça que ça marche. Mais je veux avoir un message d’apaisement et de paix parce que le projet qui est le mien, qui est le nôtre, celui sur lequel le peuple français m’a confié mandat, mais je crois celui qui est historiquement celui de notre pays. Sa mission profonde, c’est une mission de paix entre les religions parce que c’est une mission de savoir, de construction de la raison. Et donc, en quelque sorte, moi, je ne m’occupe pas de savoir ce que vous croyez. Je m’occupe de savoir si vous respectez toutes les lois de la République. Je n’accepterai jamais que vous ne respectiez pas une loi du pays en raison de votre religion si vous vivez sur le sol français. Mais je veux que vous puissiez croire dans votre Dieu, quel qu’il soit, de manière calme, apaisée, sur notre sol. Et donc, quand parfois il y a des actes qui sont faits contre les musulmans en France, je veux leur dire que nous serons intraitables. Il y en a et il y a des faits divers. Malheureusement, trop souvent, il y en a contre, aujourd’hui, nos concitoyens, quelle que soit leur religion. Trop souvent.
Emmanuel Macron: Oui, j’ai dit qu’il y avait en tout cas, que la politique que nous menons, c’est de lutter contre ces extrémistes violents qui agissent au nom de l’islam. Mais que l’Etat devait aussi réengager une politique à l’égard de beaucoup des enfants de notre pays qui vivent sur notre sol et qui se sentent abandonnés parce que je suis lucide sur notre situation. Quand j’ai parlé d’un séparatisme, qu’est-ce que ça veut dire et pourquoi ça correspond à ce que vous décrivais tout à l’heure ? Parce que vous avez des groupes que j’appelle ces extrémistes violents qui agissent au nom de l’islam et en détournant la religion qui enseignent, expliquent dans le cadre d’associations, en utilisant toutes les libertés, et les droits que la République offre, que notre pays offre. Ils enseignent qu’il ne faut pas respecter la France, qu’il ne faut pas respecter notre droit, qu’il faut en quelque sorte sortir de nos lois. Ils enseignent que les femmes ne sont pas l’égal des hommes. Ils enseignent que les petites filles ne doivent pas avoir les mêmes droits que les petits garçons. Pas chez nous. Je vous le dis très clairement, pas chez nous. Nous, nous croyons dans les Lumières. Et les citoyennes ont les mêmes droits que les citoyens. C’est existentiel. Et donc jamais, jamais, jamais je n’accepterai une association, quand bien même elle le ferait au nom d’une religion qui pousserait ses droits. En tout cas, qui dirait une petite fille n’est pas l’équivalent d’un petit garçon. Elle n’aura pas le même enseignement. On ne lui donnera pas les mêmes chances parce que ce n’est pas notre droit. Les gens qui croient ça, qu’ils aillent le faire ailleurs, pas sur le sol français.
Donc, je dis, ces groupes-là qui, sur notre sol veulent instaurer leur droit, séparer une partie de la société, nous devons lutter contre eux, très clairement, parce qu’ils décident de se séparer. Ce n’est pas contre les musulmans, je le redis, c’est contre ces extrémistes violents qui ne veulent pas respecter nos droits. Parce que c’est la clé pour protéger les Françaises et les Français, et en particulier ceux de confession musulmane. Parce que je ne veux pas qu’une petite fille, parce que ses parents croient dans l’islam, ce qui est tout à fait leur droit en France, se retrouve à être prise par une de ces associations et à être ainsi, en fait, maltraitée sur notre sol. Ça, je ne peux pas l’accepter. Donc, quand on a parlé de ce mot séparatisme, ça n’est pas quelque religion que ce soit, mais contre l’utilisation, au nom d’une religion, de certaines pratiques.
Et on a d’ailleurs cité d’autres pratiques qui existent aussi sur notre sol et qui sont le fruit d’autres religions ou d’autres groupes. Ensuite, j’ai dit nous, nous avons une responsabilité parce que quand je regarde la stratégie de ces extrémistes et parfois de ces terroristes, ils construisent tout leur discours, leur narratif sur le ressentiment. C’est-à-dire, ils expliquent au monde musulman, vous n’avez pas été bien traités par l’Occident, vous avez été humiliés, vous avez été colonisés, vous n’êtes pas bien traités dans leur société. D’abord, moi, je regarde les faits, nous avons une histoire. Je me suis déjà exprimé sur le colonialisme et l’histoire de la France sur plusieurs continents. Donc, on la regarde en face et je sais ce qu’est cette histoire. Mais je n’accepte pas. Et donc, il faut aller au bout, d’ailleurs, de ce travail de réconciliation par l’histoire, la vérité. Mais je suis frappé de voir que ces discours des groupes extrémistes prospèrent au sein d’une jeunesse qui n’a jamais, elle, connu la colonisation, qui parfois est en France depuis des générations. Et ça marche pourquoi ? Parce qu’en effet, il y a un ressentiment qui est lui plus économique et social. Et donc, je considère que nous, en France, on n’a pas assez fait le travail pour permettre à tous les enfants nés sur notre sol ou arrivés de réussir avec la même égalité. Et là, je ne voudrais pas qu’on confonde deux choses. Ça n’a rien à voir avec la religion. Très peu. Ça a à voir souvent avec le prénom, le nom, la couleur de peau, le lieu où l’on habite.
Emmanuel Macron: Oui, il nécessite un plus grand engagement collectif parce que nous avons aujourd’hui ce que j’appellerais des corporatismes qui bloquent la société. Ils touchent tout le monde, vous savez. Ils touchent aussi des jeunes qui sont dans des quartiers qui ne sont pas les plus difficiles de la société mais qui viennent de milieux modestes, mais ils touchent encore plus les jeunes qui viennent de milieux modestes, et qui sont souvent issus de l’immigration et qui ont une couleur de peau différente. C’est un fait, et je le regarde en face. Donc nous devons faire beaucoup plus par notre politique de logement, on a déjà commencé depuis trois ans mais c’est ça aussi que je veux accélérer, par nos politiques de logement pour que justement l’accès au logement soit plus équilibré sur le territoire, par notre formation. Mais on doit faire beaucoup plus pour l’emploi et la clé dans ces quartiers, pour éviter que ce soient les groupes extrémistes violents qui réussissent, qui endoctrinent, c’est qu’on retrouve le rêve républicain, un rêve français, c’est que ces jeunes aient la possibilité de trouver des opportunités économiques, qu’ils deviennent des champions dans les start-ups, qu’ils deviennent des champions dans le cinéma, qu’ils deviennent des champions et des championnes dans le milieu académique français, qu’ils deviennent des champions et des championnes dans la transition écologique. Et aujourd’hui, ils sont davantage bloqués que dans le reste de la société. C’est vrai.
Emmanuel Macron: J’ai parfois le sentiment que c’est certaines religions qui sont hypersensibles aussi à la laïcité française.
Je n’ai encore jamais vu quelqu’un condamné à mort au nom de la laïcité française. Vous m’accorderez ce distinguo. Mais j’aimerais que tout le monde soit aussi clair que ça, la ligne rouge, quiconque condamne à mort ou justifie un acte violent pour moi est de l’autre côté. Si on est clair là-dessus, on aura fait un énorme progrès déjà au cours de cette émission.
Je vais vous dire d’abord pourquoi il y en a une, ce que c’est que la laïcité et pourquoi il y a des différences avec d’autres sociétés. Je ne dis pas que c’est mieux en France. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. La laïcité, c’est à la fois la possibilité de croire ou de ne pas croire sans que ça ait quelque conséquence sur votre citoyenneté, et donc c’est une loi de liberté, la laïcité. C’est ce qui fait qu’en France, vous pouvez, je vous l’ai dit, croire ou ne pas croire quelle que soit votre religion. Et je vous invite à faire cet examen critique : beaucoup de pays parfois qui nous donnent de leçons, comment traitent-ils certains de leurs concitoyens quand ils ont telle ou telle religion ? Ont-ils les mêmes droits ? Souvent, non. Ensuite, c’est un principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est que l’État est neutre et ne s’occupe pas de religion. Il ne les finance pas, il ne les réglemente pas, et celles et ceux qui servent l’Etat, qui sont fonctionnaires, ont un principe de neutralité, ne doivent pas avoir de signes apparents de religion pour accueillir tout le monde. Et notre école, pour nos élèves, parce que nous formons des consciences qui ne sont pas encore adultes, elle doit permettre justement cet espace neutre, et donc c’est pour ça qu’il n’y a pas de signes religieux dans notre école jusqu’à 18 ans. Il peut y en avoir à l’université. Mais une fois qu’on a dit ça, la laïcité ne veut pas dire l’effacement des religions. Ça, ce n’est pas vrai. Et donc dans la société, toutes les religions vivent. Et vous voyez dans les rues le foulard, vous voyez dans les rues des gens qui peuvent porter la croix ou la kippa. Parfois, on a fait ces confusions, ce n’est pas le cas en France. Mais il y a ces espaces de neutralité quand l’Etat est présent, il y a ce distinguo. Donc je le redis très clairement, en France, le principe de laïcité n’a pas de problème avec l’islam comme religion, aucun. Ce qui ensuite est un fait, c’est qu’au moment où les cultes se sont organisés, l’islam était très peu présent en France. La civilisation musulmane a cette histoire avec notre pays et a beaucoup apporté à notre pays depuis des siècles et des siècles. Nos savants s’y sont intéressés, nous avons un rapport avec un islam des Lumières très fort, mais il y avait peu de citoyens dont la confession était l’islam en 1905. Avec les vagues migratoires des années 1960-1970 et qui se sont poursuivies ces dernières décennies, l’islam a grandi dans notre pays. Je le disais, les chiffres ne sont jamais précis parce qu’on ne fait pas de statistiques religieuses, mais quand je regarde les analyses qui sont faites par certains instituts, ils disent qu’entre 4 et 6 millions de Français auraient comme religion l’islam. Donc nous n’avons pas de problème avec cette religion, qui est celle de plusieurs millions de nos concitoyens. Une fois que j’ai dit ça, pourquoi les choses ne sont pas dans notre société, par exemple, comme en Grande-Bretagne ? Parce que nous ne sommes pas un pays, une société qu’on appelle multiculturelle. C’est vrai que les anglo-saxons, parfois plusieurs autres pays en Europe, se sont construits très différemment par rapport aux religions. Je rappelle que, par exemple, la Grande- Bretagne est encore une monarchie parlementaire. Le monarque a un rapport avec une religion qui elle-même s’est construite d’ailleurs dans la douleur par des péripéties au XVIIème siècle, et donc le rapport au religieux n’est pas le même. Le rapport du politique au religieux n’est pas le même parce que c’est le fruit d’une autre histoire. Mais les sociétés anglo-saxonnes ont en effet un multiculturalisme qui est là, qui fait que les religions cohabitent. Est-ce que c’est un meilleur modèle que le nôtre ? Moi, je ne le jugerai pas, mais il est différent, vous avez raison. Mais je voudrais dire deux mots sur la beauté du modèle français parce que j’y crois très profondément. Je n’y crois pas pour lutter contre telle ou telle religion, moi je veux que tous les enfants nés ou arrivant sur le sol de notre pays vivent heureux et en harmonie, mais parce que je pense que dans l’ambition française, il y a quelque chose d’unique qui est l’idée qu’au fond, on peut avoir la même représentation du monde parce qu’on est citoyens d’un même pays, parce qu’on est citoyennes et citoyens d’un même pays. Et c’est l’idée de dire : « Vous pouvez exercer votre religion, vous pouvez croire ou ne pas croire, mais nous devons dialoguer, nous respecter pour partager la même représentation du monde, c’est-à-dire qu’on doit savoir vivre ensemble au sens propre et profond du terme. Nous devons savoir nous comprendre, accepter l’altérité de l’autre et bâtir une représentation commune de ce que nous sommes et du reste du monde.
Et donc ce que nous devons faire l’effort de faire tous, c’est de reconnaître chacun, quelle que soit sa religion, de l’embrasser, de lui permettre de vivre en paix, et c’est de lui dire : « On doit avoir un dialogue permanent pour bâtir ensemble les lois qui sont les nôtres, et ce n’est pas au nom de la religion que tu peux sortir de la citoyenneté », et ce n’est jamais au nom de la citoyenneté qu’on peut combattre une religion. Ça, c’est le message que porte la France et elle l’a, à un moment donné, aussi largement diffusé dans le Proche/Moyen-Orient, sur le continent africain. Je pense qu’il ne faut pas oublier ce message parce que quand je regarde la folie du monde dans lequel nous vivons et sa brutalité, elle est aussi aujourd’hui liée au fait que des gens dans un même pays ne veulent plus bâtir des lois ensemble, n’ont plus la même représentation du monde ensemble, même si c’est fait par des médiations imparfaites. Ils veulent simplement que leur religion l’emporte sur une autre, que leur représentation du monde l’emporte sur une autre, et c’est pour ça que je le dis avec vraiment beaucoup d’humilité et d’amitié au sens propre du terme pour tous les musulmans, ne vous méprenez pas sur ce qu’est la liberté d’expression en France. Ça n’est en aucun cas quelque chose qui est fait pour vous atteindre, vous blesser, mais aidez-moi à la défendre, d’abord parce que parfois, dans vos pays, vous l’avez eue, cette liberté. Peut-être vous en avez oublié le sel. Il n’y a rien de plus beau que cela. Mais aidez-moi à la défendre parce que c’est à cette condition qu’on peut vivre ensemble. Sinon, on ne peut vivre que les uns contre les autres. Je ne dis pas que les gens sont parfaits, je ne dis pas que ce qui vous a blessé était innocent, mais que ça puisse se faire est important. Et ce que maintenant, nous, nous devons comprendre, c’est pourquoi ça a blessé et essayer de réduire ces incompréhensions. Mais je crois très profondément que ce qui est en train de se passer est plus qu’un contre-sens. Je pense que la France, par ses valeurs, parce qu’elle essaie de… Le combat qu’elle est en train de mener aujourd’hui, que nous sommes en train de mener porte la possibilité de construire un modèle pour l’avenir, c’est-à-dire celui de vivre ensemble en tant que citoyens d’un pays, quelles que soient nos religions.
Emmanuel Macron: J’ai envie de dire, beaucoup de cela dépend du président ERDOGAN. Pour ma part, je suis conforme aux principes que je viens d’édicter. Je crois dans l’amitié et le respect. Je n’ai jamais insulté un dirigeant du monde quel qu’il soit. Jamais. Moi je suis respectueux du président que les Turcs ont élu pour eux-mêmes et je suis aux côtés de la Turquie. Au moment où nous nous parlons, la Turquie a été frappée par un terrible séisme, et donc je veux d’ailleurs présenter mes condoléances au peuple turc et je veux d’ailleurs dire que nous avons proposé immédiatement l’assistance de notre sécurité civile pour venir en aide aux populations. La Turquie est un grand peuple, c’est d’ailleurs un grand peuple de savoirs, de connaissances, d’ouverture avec lequel nous avons des liens universitaires, académiques, historiques. Un grand peuple qui d’ailleurs a su parfois puiser dans notre histoire aussi des sources d’inspiration. Qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui ? Je note que la Turquie a des velléités impériales dans la région et je pense que ces velléités impériales ne sont pas une bonne chose pour la stabilité de la région, voilà. Ce qui s’est passé en Syrie, je pense, a été une surprise et une agression pour beaucoup d’alliés. Les États-Unis d’Amérique étaient présents sur le sol, nous l’étions dans le cadre, nous étions présents dans la région par voie aérienne dans le cadre de la coalition internationale. Et je rappelle, nous nous sommes battus contre Daech en Syrie grâce aux forces démocratiques syriennes, grâce aux combattants kurdes, aux combattants et aux combattantes immensément courageux. La guerre étant en train d’être gagnée contre le califat territorial, qu’a fait la Turquie ? Elle a envahi la Syrie, ne respectant aucune souveraineté, pour combattre et pour combattre ceux qui étaient nos alliés d’hier. En Libye, je regrette le non-respect des engagements de la conférence de Berlin. A Berlin, nous avons tous autour de la table tous dit nous devons faire respecter l’embargo sur les armes et ne permettre qu’aucun combattant étranger puisse venir sur le sol libyen. Nous avons plusieurs fois montré que plusieurs pays, dont la Turquie, avaient violé cet embargo. La Turquie n’est pas le seul mais elle l’a fait. Je considère que ces deux seuls exemples montrent qu’aujourd’hui la Turquie a un comportement belliqueux avec les alliés de l’OTAN. Ensuite ce que la Turquie a conduit dans la Méditerranée orientale était profondément agressif à l’égard de Chypre et de la Grèce. Ces deux pays sont européens. Nous sommes en soutien de la souveraineté de l’Europe. Je rappelle tout cela pour vous expliquer, mais je ne l’ai jamais fait de manière belliqueuse à l’égard de la Turquie ou de son dirigeant. Mais je pense que nous ne pouvons pas accepter l’état de fait, ce qui est la stratégie contemporaine du président turc. Donc moi je considère que quand on est allié, quand on est ami, on doit dire les choses en vérité et où sont nos lignes. Maintenant quel est notre souhait ? Que les choses s’apaisent, que la Turquie respecte, que le président turc respecte la France, respecte l’Union européenne, respecte ses valeurs, ne dise pas de mensonges et ne profère pas d’insultes. Ce serait formidable et je pense que c’est le minimum minimorum. Et ensuite que le président turc, à la hauteur de l’histoire de son pays, cesse les actes unilatéraux qu’il a conduits contre plusieurs Européens. Voilà ce que je dis. Et quel est notre souhait si je faisais fi de tout cela ? Évidemment moi je crois dans la paix, donc c’est plutôt qu’on réengage des relations pacifiques, des coopérations académiques, universitaires, culturelles, économiques. Mais le préalable à ces relations, c’est quand même de retrouver des sentiments amicaux, de la décence et de la clarification que j’évoquais. Aujourd’hui, on n’y est pas. Ces dernières semaines, on a plutôt reculé. Le président, je veux dire là-dessus d’ailleurs par rapport à votre point, que ce n’est pas une position française, c’est une position européenne. Hier, nous avons tenu un Conseil européen où les 27 membres ont été unanimes pour soutenir la France. Et hier, le président Charles MICHEL a très clairement soutenu la France dans les attaques auxquelles elle fait face aujourd’hui et il a rappelé d’ailleurs la Turquie à ses devoirs.
Non, merci de finir avec justement ces liens de civilisation et de connaissance. Comment le renforcer ? En renforçant la connaissance mutuelle. Je l’ai dit, dans la politique que j’entends mener, nous allons investir dans notre enseignement supérieur, notre recherche académique et culturelle pour recréer des chaires à l’Université française sur le Maghreb, le Proche et Moyen- Orient, sur la civilisation musulmane. Je souhaite aussi qu’on puisse multiplier les partenariats, j’en ai beaucoup noué depuis que je suis président. Mais nous avons besoin tous de mieux connaître nos civilisations. Et donc je pense que le temps de la pierre de Rosette a vécu avec d’ailleurs ce qu’il y a de cette histoire. Mais vous avez raison de le citer, il y aurait beaucoup d’autres exemples à convoquer. Mais je pense qu’aujourd’hui la voie qui doit être la nôtre, c’est celle de la connaissance, de la raison, de la coopération scientifique, académique, de l’éducation. Ce qui nourrit la peur, c’est l’incompréhension. Ce qui nourrit la haine, c’est l’ignorance. Et les tyrans de ce monde entretiennent cela. Et donc l’arme la plus efficace contre les tyrans, contre ces extrémistes dans la durée, c’est la connaissance. C’est la compréhension et c’est la connaissance du visage de l’autre dans toutes ses aspérités, de ses traits. C’est la capacité à regarder le visage de l’autre dans ce qu’il a de différent avec le mien. Nos civilisations les unes avec les autres, les hommes et les femmes que nous sommes, c’est très important. Et donc je pense que cette histoire-là doit se poursuivre, et nous allons le faire en investissant dans la connaissance de nos civilisations, en créant des chaires dans les pays du Proche et Moyen- Orient et des pays arabes, à la fois sur évidemment la civilisation musulmane mais la civilisation européenne, les Lumières, la philosophie française et la culture française, de développer en France des chaires universitaires pour mieux connaître la civilisation musulmane, permettre les controverses académiques. Parce que quand les controverses se font entre les femmes et les hommes de savoirs, le combat s’arrête entre les femmes et les hommes d’ignorance. Et on peut éduquer chacun. Je crois profondément à cela, je crois au savoir, au respect mutuel, à la connaissance. Mais nous aurons, soyons très clairs, dans la période qui vient, des combats ardus à mener, difficiles parce qu’aujourd’hui certaines et certains ont décidé du pire. Et dans ce combat contre l’ignorance, dans ce combat qui est un combat de haine, j’aurai besoin de toutes les femmes et les hommes de bonne volonté, quelle que soit leur religion.
Journaliste depuis 20 ans dans la presse économique africaine et auteur de plusieurs enquêtes et reportages. A couvert plusieurs sommets de l’Union Africaine, de la Commission économique africaine et de la Banque Africaine de Développement.
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