CONSO A compter du 1er janvier 2023, l’impression systématique du ticket de caisse sera interdite. Le but : réduire le flot des 33 milliards de tickets édités chaque année et leurs impacts sur l’environnement. Plus compliqué en réalité ?
Il accompagne le moindre de nos achats. Que ce soit un vêtement, un livre ou un nouveau frigo, les courses alimentaires de la semaine ou le sandwich acheté sur le pouce à la pause midi… On parle bien évidemment du ticket de caisse, ce bout de papier qui s’étire souvent en longueur, en particulier lorsqu’il est accompagné des facturettes de carte bancaire, des tickets de bons d’achat et de promotions du moment… Dans de nombreux cas, ils sont roulés en boule aussitôt imprimés pour être jetés à la poubelle ou au fond de la poche.
Fini tout ça au 1er janvier 2023 ? Pas tout à fait. Une mesure de la loi antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) prévoit à cette date l’interdiction de l’impression papier systématique des tickets en magasin. En clair : les consommateurs seront informés, par voie d’affichage en caisse, que, s’ils souhaitent obtenir un ticket, ils devront en faire expressément la demande. Le commerçant ne pourra alors lui refuser l’impression.
Le but affiché est de réduire ce flot de papiers, estimé à 33 milliards chaque année par le gouvernement. Pas top pour l’environnement. La fabrication de ces tickets consomme des ressources (papier, eau…), « et ils sont trop fins et trop légers pour être valorisés au recyclage », ajoute Léna Crolot, cofondatrice de Billiv, start-up spécialisée dans la dématérialisation du ticket de caisse.
La mesure à venir ne plaît guère aux associations de consommateurs, qui craignent une dématérialisation à marche forcée, au détriment du droit des consommateurs. Car si on les néglige parfois, ils font tout même office de preuve d’achat, indispensable pour faire marcher une garantie, obtenir un remboursement ou un échange. « Ils sont aussi dans bien des cas très utiles pour se prémunir d’une erreur des caisses, faire ses notes de frais ou sa comptabilité », ajoute Léna Crolot.
D’où l’impératif de proposer des alternatives numériques ? 53 % des Français se disent prêts à adopter la version dématérialisée, observait en mars dernier une étude de l’institut Opinéa pour Twilio, une plateforme d’engagement client. En la matière, l’e-mail serait la solution la plus plébiscitée. Par plus de 50 % des Français, toujours selon ce même sondage.
« L’e-mail devrait être le canal privilégié par une majorité des commerçants, du moins dans un premier temps », anticipe Léna Crolot. D’ailleurs, certaines enseignes proposent déjà cette solution. Mais elle n’est pas sans poser de problèmes. « Elle ne garantit pas, notamment, la protection des données personnelles, et on voit bien que beaucoup hésitent à donner leurs adresses e-mails, de crainte de recevoir des pubs non désirées. »
Surtout, a-t-on la certitude que le ticket de caisse par e-mail est plus écologique ? Frédéric Bordage, créateur de Green IT, collectif d’experts du numérique qui promeut l’informatique durable depuis 2004, invite à sortir du mythe de la dématérialisation. « On change juste de support, insiste-t-il. Du papier, on passe aux e-mails, dont les envois nécessitent des terminaux (ordinateur, smartphone…), des routeurs, des serveurs pour stocker ces données. Le numérique a aussi ses impacts environnementaux. Pas seulement des émissions de gaz à effet de serre, mais c’est aussi et surtout la consommation de ressources abiotiques, notamment les métaux utilisés pour construire toute cette infrastructure du numérique. »
Dès lors, l’e-mail pourrait être un remède pire que le papier « ou aux impacts au moins équivalents », estime Frédéric Bordage. Billiv, de même que Noticia, autre start-up à s’être lancée dans les tickets de caisse digitaux, proposent une autre voie. Toujours dans le numérique, mais cette fois en passant par le QR code. En le flashant, une page Internet s’ouvre sur notre smartphone, sur laquelle apparaît le ticket de caisse. De la même façon qu’on flashe parfois le menu d’un restaurant. Pas besoin d’inscription ni de télécharger une application. « Le ticket peut être retrouvé chaque fois qu’on se rend sur cette page », explique Neil Azouz, de Noticia.
Principal atout écologique de ce format : le poids du fichier. « Plutôt que d’être envoyé par e-mail, en format PDF, nous l’éditons sous un format JSON, drastiquement plus léger, et donc moins encombrant à stocker », poursuit Neil Azouz. « Soixante-dix fois », précise Léna Crolot, dont l’entreprise utilise aussi le JSON et qui a comparé les deux.
Noticia travaille sur un autre point noir de l’impact environnemental du ticket numérique : sa durée de stockage, qui peut devenir infinie quand on ne pense pas à le supprimer. « S’il n’est pas mentionné comme important par le consommateur, le ticket de caisse disparaîtra automatiquement après un an », indique ainsi Neil Azouz. De son côté, Billiv s’est posé la question du lieu de stockage de ces données, le choix de la technologie du serveur pouvant faire dévisser l’empreinte carbone. « On utilise les serveurs les plus verts possible, notamment parce qu’ils ne nécessitent pas de systèmes de refroidissement, ce qui les rend beaucoup moins énergivores », indique Léna Corlot.
A la différence de l’e-mail, la solution proposée par les deux start-up est payante pour le commerçant. Dans les deux cas, le forfait de base avoisine 10 euros par mois, tarif qui augmente ensuite en fonction du nombre de caisses équipées ou du nombre de tickets édités. Pour convaincre les commerces de se lancer, Billiv comme Noticia ajoutent d’autres « briques » à l’édition de ces tickets numériques. « Cette page Billiv qui s’ouvre sur votre smartphone permet de laisser un avis sur le commerce, ou de savoir combien de points de fidélité on a dans cet enseigne et combien il nous en manque pour profiter de la remise ou du cadeau…, liste Léna Corlot. Bref, pour le commerce, c’est la possibilité d’améliorer son référencement et sa relation client. »
Billiv comme Noticia ont déjà convaincu de premiers clients. Début octobre, la première disait avoir installé sa solution dans 250 magasins et annoncera mi-décembre un premier client grand compte, « avec plus de 700 caisses à équiper », précise Léna Corlot. Pour autant, cela reste une goutte d’eau par rapport au nombre de commerces concernés par cette mesure de la loi Agec. Autrement dit, tous, du supermarché au petit commerce, du restaurant à la librairie. « Seulement 27 % des entreprises sont prêtes à adopter le ticket de caisse dématérialisé », notait l’institut Opinéa en mars dernier. Il devrait encore manquer une large majorité au 1er janvier. « Cette loi reste très méconnue, notamment parce que le gouvernement a peu communiqué dessus, poursuite Laure Brunet, déléguée générale de la Confédération des commerçants de France. Surtout, le décret d’application n’est pas encore paru, on ne connaît pas les contours de la mesure. Il y a encore beaucoup de flou, notamment en matière de protection des données. »
Le « QR code » mieux que l’e-mail… mais à quel point ?
A priori donc, la solution du ticket de caisse par QR code permettrait d’être plus écologique que par e-mail. Mais pas simple, en réalité, de faire des comparaisons précises. Neil Azouz avance une empreinte carbone de 19 g de CO2 pour un ticket de caisse par e-mail, contre 0,3 g de CO2 par an pour un ticket Noticia. « On a considéré que cette empreinte était la même qu’un spam – c’est-à-dire un e-mail ne contenant que du texte et sans pièce jointe –, déjà renseignée dans d’autres études », précise-t-il. Frédéric Bordage tique sur ces chiffres. « Le premier est tiré d’une étude de l’Ademe de 2011, mais prenait pour référence un e-mail expédié avec une pièce jointe de 1 Mo, rappelle-t-il. C’est nettement plus lourd qu’un ticket de caisse expédié par e-mail. » Quant à l’empreinte carbone d’un ticket Noticia, « l’estimation me semble très basse et n’est pas tirée d’une Analyse du cycle de vie (ACV) complète, qui ne tient notamment pas seulement compte des émissions de gaz à effet de serre. » Dès lors, le fondateur de Green It rappelle que la meilleure alternative au papier reste « le ticket qu’on n’émet pas tout court ». « Seulement alors, on pourra parler de dématérialisation », pointe-t-il.
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