A compter du 17 mai prochain, les pharmaciens vont pouvoir faire les affaires de Google : ils auront le droit de faire de la publicité en ligne en utilisant un référencement payant afin de vendre des médicaments non soumis à une souscription médicale.
Cette grande première, qui pourrait bouleverser cette profession réglementée, est due à une décision du Conseil d’Etat rendue le 17 mars dernier. « Cette décision va bousculer la vente en ligne des médicaments en France. Les pharmaciens n’avaient jusque-là pas le droit de communiquer à l’extérieur de leur officine. Désormais, nous allons pouvoir mettre en avant un site Internet grâce à un système de référencement payant », se réjouit Cyril Tétart, président de l’Association française des pharmaciens en ligne.
La vente en ligne des médicaments, non souscrits par ordonnance, est autorisée en France depuis le 19 décembre 2012, mais strictement réglementée. Seuls les pharmaciens officinaux ont ce droit – dans un souci de protection de la santé publique.
Aujourd’hui, sur les plus de 21.000 officines existantes, seules 720 disposent d’un site Internet et 400 d’une véritable activité en ligne, d’après l’Ordre national des pharmaciens qui tient à jour la liste des sites Internet autorisés.
« Un site Internet doit être correctement référencé dans Google pour attirer des clients. En France, le référencement des sites de vente de médicaments ne pouvait être que naturel, alors que le droit de l’Union européenne, notamment les directives « commerce électronique » et « médicaments », ne prévoit pas une telle limitation », explique Julien Moiroux, avocat counsel du cabinet Simmons & Simmons, à l’origine de ce recours devant le Conseil d’Etat.
Conscients de cette différence d’interprétation des directives européennes entre les pays membres, les pharmaciens belges, allemands et néerlandais très offensifs sur le marché du médicament en ligne ont rapidement acheté des noms de domaines en. fr afin d’être plus visibles par l’internaute français, ce qui a entraîné une véritable différence de traitement.
En France, selon l’Autorité de la concurrence, en 2019, la vente en ligne des médicaments représentait 1 % du chiffre d’affaires de la vente de médicaments, contre 15 % en Allemagne, par exemple. C’est cette concurrence disproportionnée que le Conseil d’Etat a reconnue pour mettre un terme à cette interdiction.
« Il n’est pas établi que l’interdiction du référencement payant par les seules officines situées en France soit de nature à préserver la relation de confiance entre le patient et le pharmacien, dès lors qu’elle permet aux clients français d’acheter plus facilement des médicaments auprès de sites qui ne sont pas soumis aux garanties déontologiques applicables aux pharmaciens installés en France », précise la décision.
Cette décision du Conseil d’Etat est ce que les professionnels du droit appellent un revirement de jurisprudence, ce qui la rend d’autant plus importante. En 2018, la juridiction administrative suprême, déjà saisie de cette question du référencement payant, avait estimé que la vente en ligne était une publicité qui portait atteinte à la protection de la santé publique.
Par le biais d’une autre procédure entamée par des pharmaciens français, le bien-fondé de cette interdiction avait été soumis à la Cour de justice de l’Union européenne. Dans un arrêt du 1er octobre 2020, celle-ci a affirmé que le référencement payant des sites Internet était un facteur de développement des pharmacies européennes. Le Conseil d’Etat pouvait donc difficilement cette fois-ci prendre une position différente.
C’est une première victoire pour les pharmaciens en ligne français, mais le chemin est encore long avant de réussir à créer des mastodontes de la vente de médicaments en ligne comme le belge Newpharma. Un autre frein de taille explique pourquoi très peu de pharmaciens se sont saisis de cette opportunité de vente en ligne : le stockage des produits .
La réglementation actuelle impose à ces professionnels de disposer d’une officine d’un seul tenant ou d’un local à proximité. La surface des officines ne permet pas pour la plupart des acteurs de créer un espace particulier pour la vente en ligne. Reste la possibilité d’un local à proximité, plus compliquée qu’elle n’y paraît. Les autorités de santé estiment que la notion de proximité correspond au quartier d’implantation de l’officine, mais laissent le soin aux agences régionales de santé (ARS) de valider ces locaux.
« Nous sommes aujourd’hui dans un blocage réglementaire qui fait qu’en pratique il est impossible de disposer d’un local de stockage, car les directeurs généraux des ARS ne parviennent pas à définir les quartiers d’implantation », regrette Julien Moiroux.
Cet encadrement des locaux de stockage n’existe pas dans les autres pays de l’Union européenne. Newpharma a d’ailleurs annoncé l’ouverture prochaine d’un local de stockage de 20.000 mètres carrés près de Liège. De quoi continuer à répondre aux besoins des Français.
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