« C’était un pari un peu fou à l’époque », avoue Jean-Rémy Martin, le cofondateur, avec son fils William, de la marque Diogo Vaz. Tombé amoureux de l’île de São Tomé, cet entrepreneur originaire de Villeneuve-de-Marsan dans les Landes, a acheté, en 2010, la plantation Diogo Vaz. L’ancienne hacienda, bâtie en 1880, se dresse dans une forêt de cacaotiers, sur cette île à la terre riche et volcanique, un peu perdue dans le golfe de Guinée, à plus de 350 kilomètres au large du Gabon.
Le but de Jean-Rémy Martin ? Récolter ses propres fèves et mettre au point un chocolat à la « texture très fine et homogène », selon l’entrepreneur, qui a passé trois décennies dans le développement agricole et hydraulique en Afrique, avant de découvrir São Tomé, au début des années 2000, lors d’un voyage à Libreville avec sa fille.
Il est aujourd’hui l’un des rares industriels à fabriquer son propre chocolat (bio) sur sa plantation en Afrique. « Il a fallu investir plusieurs millions d’euros pour replanter 100.000 arbres, créer une unité de production afin d’assumer 100 % de la transformation en interne et acheter des machines ultramodernes pour répondre aux exigences sanitaires », raconte l’entrepreneur.
Le pari s’est révélé gagnant : en 2016, il a raflé, avec son chef Olivier Casenave, le prix de «La meilleure tablette de chocolat noir » au Salon du Chocolat. Cette année encore, ses équipes partageront un stand avec São Tomé, lors de ce rendez-vous gourmand qui ouvre ses portes, ce vendredi à Paris.
Jean-Rémy Martin, lui, a été retenu sur l’île, où vivait aussi son fils William, président de Diogo Vaz jusqu’à son décès en février 2021 à la suite d’un accident de plongée sous-marine. « La seule façon de poursuivre cette aventure après ce drame était de rester aux côtés des São-Toméens », explique le chef d’entreprise de 67 ans, qui passe là-bas sept mois par an.
Il y emploie, en plus de dix salariés en France, 250 personnes. Principalement des ouvriers qui entretiennent la plantation et récoltent les fèves, mais aussi des chefs d’équipe, des responsables de production, un directeur de plantation, un responsable qualité et biologiste qui gère la pépinière et les projets de vanille, café et poivre.
Autodidacte, Jean-Rémy Martin s’est aussi entouré de techniciens, comme Olivier Casenave, chocolatier français, devenu depuis conseiller technique permanent de la marque. « Faire un chocolat noir sans amertume ni fioriture reste difficile. Très peu de gens s’y hasardent », estime le Montois d’origine.
Sur l’île, Jean-Rémy Martin s’investit corps et âme. Et s’agace : « C’est aberrant, dans un monde où tout le monde prône les circuits courts, que toutes les matières premières soient transformées ailleurs qu’en Afrique, et que les produits finis finissent par revenir ici. Il y a quelque chose qui ne va pas », déplore l’entrepreneur, qui a passé son exploitation en agriculture biologique en 2017.
Jean-Rémy Martin assure aussi pouvoir mieux rémunérer ses équipes, en évitant les intermédiaires… et les aléas des marchés boursiers. « Lorsqu’on garde une partie de la valeur ajoutée sur place, on change vraiment la donne. Cela permet aux gens de vivre décemment. Grâce à la mutualisation de la fabrication, de la production et de la distribution, on paye trois fois plus que les salaires de base », assure ce patron, qui finance sur place une école et un centre de santé.
Sur ses 420 hectares de plantation, 20 tonnes de tablettes de chocolat, soit 150.000 à 200.000 tablettes par an, sont produites et exportées par bateau. Le cacao frais est travaillé et surséché à 50 degrés afin de lui permettre de développer d’autres arômes. Le produit phare de la marque : les tablettes de chocolat grand cru dont le « unroasted » (non torréfié).
Mais l’entrepreneur voit plus grand. « Notre ambition est de transformer plus de fèves de cacao, au lieu de les vendre non transformées au Portugal et en Suisse. Nous voulons exporter environ 200 tonnes de chocolat à échéance de 5 ans, ce qui demande de travailler 300 tonnes de cacao pour rester dans un produit haut de gamme artisanal », détaille-t-il.
En 2018, la marque a intégré le Collège culinaire de France, permettant le référencement de ses chocolats dans les restaurants et chez les pâtissiers les plus prestigieux de l’Hexagone. Son prochain défi : percer le milieu de l’hôtellerie haut de gamme en proposant un chocolat exclusif.
L’entreprise familiale, qui a réalisé 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, distribue ses produits dans quatre boutiques qu’elle détient en propre à São Tomé, au Cameroun, au Portugal et à Mont-de-Marsan. Elle devrait également ouvrir début 2023 cinq nouvelles boutiques à Paris, Bordeaux, Pau mais aussi à Porto au Portugal et à Bucarest en Roumanie. Une première étape pour l’enseigne désireuse de se déployer en franchise , d’ouvrir 30 à 50 unités en France, en Europe et en Afrique d’ici 2024 et qui ambitionne de passer le cap des 10 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 5 ans.
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