C’est une toute petite dame, la Vierge du Pilar, mais elle a un sacré pouvoir ! La statuette de 36,5 cm, en bois doré sculpté au XVe siècle, trône au cœur de la basilique Nuestra Señora del Pilar, immense pièce montée baroque à 11 coupoles, 10 lanternes et 4 tours, qui fut érigée aux XVIIe et XVIIIe siècles. La Vierge y jouxte une vénérable colonne de jaspe : le fameux « pilar », le saint pilier qu’elle aurait donné à saint Jacques, qui évangélisait les rives de l’Èbre en l’an 40 de notre ère, pour qu’il lui bâtisse une chapelle. Une rencontre fondatrice, puisque, aujourd’hui encore, Saragosse et Compostelle sont deux pôles majeurs de la spiritualité espagnole.
La Vierge du Pilar n’est pas seulement la patronne de Saragosse : c’est aussi celle de l’Espagne et du monde hispanique tout entier. Si les fêtes du Pilar s’articulent autour du 12 octobre, c’est que la fête nationale espagnole commémore le jour où Christophe Colomb posa le pied en Amérique, un 12 octobre 1492. Autrement dit, c’est mieux qu’un 15 Août et un 14 Juillet réunis : un super-week-end prolongé, où Saragosse devient « ze place to…
La Vierge du Pilar n’est pas seulement la patronne de Saragosse : c’est aussi celle de l’Espagne et du monde hispanique tout entier. Si les fêtes du Pilar s’articulent autour du 12 octobre, c’est que la fête nationale espagnole commémore le jour où Christophe Colomb posa le pied en Amérique, un 12 octobre 1492. Autrement dit, c’est mieux qu’un 15 Août et un 14 Juillet réunis : un super-week-end prolongé, où Saragosse devient « ze place to be » pour le reste du pays. Certes, la ville ne s’attend pas encore à retrouver sa fréquentation d’avant-pandémie, soit 300 000 visiteurs, mais vous ne vous y sentirez pas seul !
Les choses commenceront le samedi 8 octobre à 19 heures, avec le défilé des « peñas » (NDLR : groupes d’amis) convergeant vers l’immense Plaza del Pilar, l’une des plus grandes places d’Europe. Une foule dense les suivra jusqu’à ce « salon de Saragosse » de 21 000 mètres carrés ! Toutes les générations porteront autour du cou le « cachirulo » traditionnel, le foulard à carreaux noir et rouge brodé à l’image de la Vierge. Comme une rock star, cette dernière sera partout. Sur les drapeaux qui pendent de toutes les fenêtres, en figurines dans toutes les vitrines, sur les pains, les gâteaux spéciaux que boulangers et pâtissiers produisent par centaines. Les « cintas », rubans porte-bonheur mesurant précisément 36,5 cm, la taille de la Vierge, se vendent par milliers dans toutes les couleurs. Même si on les noue aujourd’hui aux rétroviseurs des voitures, aux poignées des valises et aux landaus, la tradition remonte à 1677 !
À 21 heures, ce sera l’heure du « pregón », discours inaugural, lu depuis le balcon de l’hôtel de ville, qui déclare ouvertes les fêtes, sous les salves d’un premier feu d’artifice. Mais il faudra attendre le 12 octobre pour le vrai temps fort de ces fêtes : l’offrande des fleurs. C’est en 1958 que l’on donna un cadre à ce don spontané des fidèles. Pendant deux heures, quelque 2 000 personnes déposaient un bouquet devant un autel, placé à l’extérieur de la basilique. Jusqu’à ce que le cinéaste Bigas Luna (« Jamón, Jamón ») suggère, en 1998, de rendre l’affaire plus spectaculaire en installant au cœur de la place du Pilar une pyramide métallique de 15 mètres de haut par 16 de large, à laquelle les bouquets de fleurs des participants, hissés dans des seaux, seraient accrochés par une équipe de fidèles. Le succès fut immédiat !
Depuis, après le rosaire de l’aube, récité à 5 heures du matin depuis le XVIIIe siècle, les participants, tirés au sort dans toute l’Espagne, défilent dans le costume traditionnel de leur région, tirés à quatre épingles (la cérémonie est retransmise à la télé et sur écrans géants) et les bras chargés de fleurs. En 2018, on estime que 7 millions de fleurs furent ainsi offertes à la Vierge. Pareille ferveur méritait bien, quand la pandémie annula l’édition 2020, que la ville de Saragosse mît en place un système d’offrandes de fleurs en ligne qui en recueillit près de 150 000. Roses, glaïeuls, œillets blancs ou rouges, on choisissait ses fleurs virtuelles en ligne, on indiquait son nom, un petit message à la Vierge, et hop ! le tout s’affichait sur grand écran ! Le 12 octobre prochain, retour à l’offrande en présentiel et au bonheur de voir, dès le milieu de la matinée, ces familles, ces groupes d’amis mêler leurs beaux costumes aux jeans-baskets sur les places, les parvis des musées, les terrasses des cafés, dans toute la ville. Autres rendez-vous importants : l’offrande des fruits du 13 octobre. Pêches de Calanda, cerises de Caspe, asperges de Gallur ou pastèques d’Alfamén, la Vierge reçoit 7 tonnes des plus belles productions de la région, ensuite redistribuées à l’aide alimentaire. Dans l’après-midi, le Rosario de Cristal, quant à lui, verra défiler 200 lanternes et 15 chars de verre illuminés dans le centre historique.
Dans la basilique du Pilar, les messes se succèdent pendant toutes les fêtes, et il faudra se glisser entre deux pour visiter les lieux. « Cette cathédrale est d’abord un temple, ensuite un monument », rappelle Don Ignacio, directeur du patrimoine de la Seo et du Pilar. Il attire l’attention sur le retable Renaissance du maître-autel, en albâtre de la vallée de l’Èbre, le chœur plateresque en chêne des Flandres, sculpté au XVIe siècle par un Bas-Navarrais, Esteban de Obray. Et, bien sûr, le cœur du réacteur : la chapelle de la Vierge, où se pressent les fidèles. Mieux que Barbie, elle a une panoplie de 500 manteaux et en porte chaque jour un nouveau. Sur le saint pilier voisin, un cercle d’or indique l’endroit où il peut être embrassé. De l’avis général, même si le pilier est concave de tous les baisers reçus par le passé, le Covid a bien ralenti le rituel des bisous. La dévotion à la Vierge est ardente. On lui attribue divers miracles, dont celui d’avoir empêché l’explosion de deux bombes, tombées sur la basilique pendant la guerre civile. Un pilier en porte encore la trace…
À l’extrémité est de la place, la cathédrale de la Seo paye moins de mine. Ne vous y trompez pas : elle est plus ancienne que sa voisine, car c’est l’ancienne mosquée, que les chrétiens consacrèrent en 1118, quand ils entrèrent dans la ville. Au XVIIe siècle, une bulle du pape Clément X décida que Saragosse aurait une autre cathédrale, à quelques mètres de la première, et la Seo tomba dans l’oubli, presque dans l’abandon. Vingt ans de travaux de rénovation lui rendirent sa superbe et, en 1999, on a redécouvert le glorieux édifice où la moitié des rois d’Aragon furent couronnés, en un temps où leur royaume comprenait quasiment toute la péninsule Ibérique, la Sicile, les Baléares, la Corse et même Perpignan ! Levez les yeux pour voir le grand retable gothique, en albâtre polychrome, et la délicate tour-lanterne. Au-delà du déambulatoire plateresque, voici les chapelles que les familles nobles offraient à l’Église. Celles dédiées à saint Augustin et à Santo Dominguito del Val croulent sous les ors et les stucs Chantilly ! Enfin, ne manquez pas le discret musée des Tapisseries adjacent, qui recèle l’une des plus belles collections du genre au monde : d’incroyables BD de laine, avec phylactères en latin, où les ateliers d’Arras, de Beauvais, de Bruxelles ou de Tournai racontent en détail – vaisselle, bijoux, vêtements, bâtiments – la vie au XVe siècle !
En fin de journée, le Pont de Pierre et (au bout, à droite) le balcon de Saint-Lazare offrent des vues incroyables sur l’Èbre, miroir des cathédrales. L’occasion de découvrir qu’il se passe beaucoup de choses sur ces rives et que les fêtes du Pilar, au-delà du religieux, sont un grand moment populaire, culturel, gastronomique. Partout dans la ville, des spectacles de théâtre, de cirque, de mime, de danse, des concerts et, dans les restaurants, des menus spéciaux où le « ternasco de Aragón », l’agneau de lait traditionnel, a la vedette avec des pommes boulangère. Enfin, la feria del Pilar proposera aux arènes de la Misericordia le dernier rendez-vous de la temporada, avant le départ des toreros outre-Atlantique. Une autre conquête de l’Amérique… et ainsi la boucle est bouclée.
CARNET D’ADRESSES
Programmation complète sur fiestasdelpilar.com. On peut y réserver les visites ci-après en ligne. Ou à l’office de tourisme, Calle Don Jaime I (près de la Plaza del Pilar). La visite « La Route des cathédrales » réunit les deux édifices et le Pont de Pierre. À 16 h 30, tous les jours sauf mercredi. Durée : 3 h, prix : 25 €. Mêmes jours, même heure pour découvrir la Seo et le musée des Tapisseries : 1 h 30, 12 €.
Sur les bords de l’Èbre au Food Trucks Festival du paseo Echegaray y Caballero, entre le 6 et le 16 octobre.
Restaurant Flor de Lis
Ce restaurant au beau décor d’azulejos multicolores sert des croquettes délicieuses, du riz à la bourrache et des artichauts frits au jambon de Teruel. Calle Don Jaime I, 34 : +34 876 00 72 16,
Parrilla Albarracín
Jambon de Teruel DO, oignon doux de Fuentes, ternasco (agneau de lait) DO : le meilleur de la cuisine aragonaise. Classique des fêtes du Pilar : les « migas » rustiques, avec œuf, ventrèche et raisins. Préférez la nouvelle salle, cosy et contemporaine. Plaza del Carmen, 1-3. Tél. +34 976 23 24 73.
Chocopass
Le chocolat est une tradition à Saragosse. Pour 9 €, l’office de tourisme propose un Chocopass pour goûter cinq spécialités de divers chocolatiers. À déguster chaud, avec des churros, à la Churrería La Fama (Calle Prudencio, 25 : +34 976 39 37 54). Ou aussi les fruits confits de l’inratable pâtisserie Fantoba (calle Don Jaime I, 21).
Hôtel Alfonso
Un quatre-étoiles cosy, tout près de la place du Pilar. Petit déjeuner frais et varié. Calle del Coso, 15-17. Tél. +34 876 54 11 18.

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